Dans le cadre de la double présidence française du G8 et du G20 qui a commencé depuis novembre 2010, Nicolas Sarkozy, le Président français, a dévoilé son agenda le 24 janvier 2011 sans apporter de précisions sur les moyens concrets de mettre en œuvre des objectifs. Les chances de faisabilité de nombreuses propositions, pourtant alléchantes, semblent relever d’une opération de communication. Les annonces précédentes sont passées sous silence. Et les vrais problèmes que constituent le contrôle des banques et la limitation des profits distribués ne sont pas abordés. Le G20 travaille-t-il pour améliorer le sort des 172 Etats non représentés dans le G20 ? Le G20 cherche-t-il à mieux surveiller et contrôler les velléités futures de résistance, voire de révolte économique, des 172 pays laissés pour compte ? Avec une Afrique divisée – entre les dirigeants qui trahissent la cause de population en faisant passer les intérêts étrangers avant ceux des populations locales et les dirigeants qui tentent d’organiser leur souveraineté économique -, les marges de manœuvre pour une Afrique considérée au mieux comme un simple observateur, au pire comme une variable d’ajustement pour les puissances moyennes, pose problème. Le G20 tente-t-il d’institutionnaliser la postcolonie en organisant l’exclusion de l’Afrique dans les décisions la concernant ?
1. REGULER ET ADMINISTRER LA VOLATILITE DES MARCHES ET DES MONNAIES
S’il y a consensus sur les sujets choisis, il n’y a manifestement pas d’accord, ni parfois de volonté de débattre de certains des points proposés, quant il ne s’agit pas simplement d’un refus catégorique, de la part des Etats-Unis. Au menu des discussions qui devront trouver un début de réalisation avant fin novembre 2011 figurent entre autres :
- la réforme du système monétaire international avec le contrôle des banques passé sous silence au profit d’un débat sur la distanciation avec le dollar ;
- la réforme de la gouvernance économique mondiale avec en filigrane un rôle accru au plan économique du G20, pendant du Conseil de sécurité ;
- la mise en place d’une taxe sur les transactions financières conçue comme un devoir moral ;
- un code de conduite sur les flux de capitaux ;
- un rôle élargi pour le Fonds monétaire international (FMI) notamment en lui octroyant une mission de surveillance des flux de capitaux et des déséquilibres mondiaux
- de nouveaux ou meilleurs indicateurs permettant d’analyser les déséquilibres financiers persistants
- de nouvelles mesures pour limiter, voire contrôler, la volatilité des marchés des matières premières, qui pourrait conduire à des crises alimentaires
Pour concocter ce plan, il a fallu parler avec les principaux dirigeants, donc Barack Obama, Président des Etats-Unis et Hu Jintao, Président de la Chine. Le soutien virtuel de ces deux poids lourds, communément appelé le G2, a conduit le Président français à « oublier » sa grande idée d’impulser la réorganisation d’un nouveau système économique moderne qui devait faire passer aux oubliettes les décisions de la Conférence de Bretton-Woods de 1944. Le Dollar reste roi mais affaibli. Les 14 000 milliards de $ US du déficit américain, devraient transformer ce pays en un Etat défaillant dès le mois de mars 2011, si le Congrès des Etats-Unis ne change pas les critères définissant un Etat défaillant. Il faut donc être clair. Les deux grandes puissances ne souhaitent pas changer quoi que ce soit au système monétaire mondial qui a émergé après la deuxième guerre mondiale, sauf de trouver les moyens de mieux se coordonner, vraisemblablement aux dépens des 172 pays du monde qui ne sont pas membres du G20. La volonté d’institutionnaliser le G20 comme une structure « économique mondiale » qui pourrait servir de contrepoids, tant au Conseil de sécurité qu’au FMI dominé par les Etats-Unis, ne semble pas avoir intéressé les dirigeants du G20. Donc, il n’y a en principe aucune chance de créer une nouvelle institution à partir du G20. Par contre, il pourrait servir à discuter des problèmes de régulation, d’une nouvelle maîtrise de la « dérégulation » qui se traduit par : la volonté de mettre en place des codes de conduite sur les flux de capitaux, la volonté de renforcer une institution comme le FMI, que contrôlent les Etats-Unis et lui rajouter des fonctions de surveillance au service premier de ceux qui sont majoritaires au conseil d’administration. Donc si la volonté y était, les chances de convaincre sont bien minces. Alors, le marketing et la communication ont pris la relève et le Président français a choisi d’annoncer tout ce qui est déjà connu et largement martelé par les Etats-Unis comme :
- l’impossible mise en cause du dollar comme la monnaie globale ;
- l’impossible contrôle des capitaux et par ricochet la cohérence et la coordination d’une taxe sur les mouvements des capitaux ou sur les devises ; et
- l’impossibilité de revenir au système de 1971 fondé sur une monnaie marchandise comme l’or par exemple et un système de parités de changes fixes.
2. REGULER ET ADMINISTRER LA VOLATILITE DES MATIERES PREMIERES
Face à une vraie résistance du G2 sur des “réformes” qui ne viennent pas d’eux, Mr Sarkozy est condamné à se contenter de proposer d’organiser la régulation des monnaies et des matières premières, sans trop croire lui-même aux chances de succès d’un tel chantier gigantesque. En effet, l’Union européenne et les pays d’Afrique, Caraïbes et du Pacifique (ACP) ainsi que la Conférence des Nations Unies pour le Commerce et le Développement ont passé des années à tenter de réguler les matières premières et ont fini par abandonner ce chantier face aux forces du marché et la logique de dérégulation affichée par les grands pays exportateurs du monde. Avec une Organisation mondiale du commerce incapable de trouver un consensus sur un commerce dérégulé tout en laissant aux Etats le protectionnisme sur les flux migratoires, le mécanisme opérationnel de régulation des matières premières risque de demeurer une hypothèse d’école. Les mécanismes de stockage, d’influence sur les prix, des pertes liées aux termes de l’échange, les variations des monnaies faisant perdre en argent ce que d’autres croient gagner en volume, sont quelques uns des challenges qui risquent de faire que les objectifs de régulation et d’administration de la volatilité des matières premières, restent d’ici novembre 2011, à la fin de la présidence française du G20, un thème qui aura fait l’objet de beaucoup de déperdition d’encre comme de salive, sans d’ailleurs aboutir à de véritables solutions pérennes et opérationnelles.
Il faut compter avec les tenants de la dérégulation et les forces du marché qui se sont spécialisés dans les profits spéculatifs pour gêner la mise en œuvre d’une telle noble idée. Après avoir annoncé avec fanfare la taxation des transactions financières, des bonus des traders, la lutte contre les paradis fiscaux, le Président français n’ose plus parler des contrôles des banques et des institutions financières, principaux responsables de la crise financière de 2008 1 et principaux bénéficiaires des mesures de sauvetage des Etats, ponctionnant ainsi les contribuables des principaux pays du G20. Au total, s’agit-il plus d’une forme de communication sur le G20 afin de mieux cacher les résistances – pour ne pas dire les blocages internes – sur toute volonté de « bouger les lignes, voire de réformer le système et l’architecture monétaire et financière internationale » ? La réponse est malheureusement oui ! Mais pourquoi ne pas jouer la carte de la transparence pour gagner en crédibilité alors que la popularité en ce début d’année 2011 du Président Français (30 % de satisfaits en janvier 2011) est inversement proportionnelle à celle de sa femme (52 % de satisfaits).
Par ailleurs, ce n’est pas maintenant que les Etats-Unis font de la dévaluation compétitive, que l’on peut parler de réforme en profondeur du système monétaire international. En clair, les Etats Unis injectent de la monnaie qui ne repose sur aucune production réelle (600 milliards $US) sans demander l’avis des autres membres du G20, encore moins celui de la Chine. La croissance américaine actuelle est donc virtuelle surtout que la Federal Reserve (la Banque centrale américaine) se prépare à remettre cela sous le nom de « quantitative easing », une facilité d’injection de liquidités en oubliant qu’au mois de mars, le déficit budgétaire aura atteint le niveau d’un Etat défaillant.
3. OUBLIER LA REPRESENTATION DE 172 PAYS AU G20
Mais le véritable problème est que le thème politique qui aurait eu les meilleures chances de remporter le consensus des membres du G20 est bien celui de faire représenter les grandes régions pauvres dans le G20 comme des décideurs à part entière. En ne le faisant pas, le G20 sous la direction de Nicolas Sarkozy semble institutionnaliser un G20 de la postcolonie. En effet, 172 pays ne sont pas représentés, alors que l’essentiel des erreurs de gouvernance observé au sein du G8 a des impacts directs et indirects sur ces 172 pays et plus particulièrement sur l’Afrique subsaharienne. Alors proposer que le G20 soit augmenté d’au moins un pays représentatif par grande sous-région (Asie, Amérique Latine, Afrique et Océanie) pour passer au G24, ou à défaut au moins intégrer l’Afrique et passer au G21, aurait été un minimum en terme de « devoir moral ». En omettant de mener ce vrai combat d’avocat de l’Afrique et des 172 pays, considérés au mieux comme des observateurs, au pire comme des pays-satellites d’une grande puissance, le G20 de Nicolas Sarkozy, au-delà de la communication marketing, risque de devenir un club des amis qui ne gênent pas les délibérations des dirigeants du G20, autrement dit, un lieu où l’on réorganise la postcolonie économique à défaut de pouvoir afficher une véritable hégémonie économique dans un monde de plus en plus interdépendant.
Cette stratégie du G20 de la postcolonie est cohérente puisque la seule proposition lumineuse est d’octroyer ou plutôt de renforcer le rôle de surveillance du Fonds monétaire international comme si les pays africains avaient oublié les dégâts causés par les programmes d’ajustement structurels dans les années 1980-90 qui ont dévasté l’infrastructure, la santé, l’éducation et confiné la progression du pouvoir d’achat des Africains. Quand le FMI a coupé par trois fois de suite le pouvoir d’achat des Camerounais et Camerounaises alors qu’Alassane Ouattara était le Directeur général Afrique du FMI, il y a lieu de s’interroger sur la pertinence du rôle accru du FMI sur la régulation monétaire. Oui, il y aura une régulation qui ressemblera plus à des formes juridiques d’interventionnisme et de privation de la souveraineté économique et monétaire des économies qui auront le malheur d’aller s’inscrire dans les programmes du FMI. Pourquoi ne pas décentraliser le FMI et soutenir le programme des chefs d’Etat africains qui optent enfin pour la création du Fonds monétaire africain ? Non seulement, cela ressemblerait à un minimum de respect pour l’Afrique, mais pour une fois, les effets d’annonce seront suivis d’effets immédiats puisque la plupart des chefs d’Etat africains sont d’accord pour la création du FMA. Il est donc suggéré fortement au Président Sarkozy lors de sa visite aux Chefs d’Etats africains les 30 et 31 janvier 2011 au cours du sommet de l’Union africaine d’annoncer qu’il proposera :
- l’Afrique comme le G21ème participant ayant une voix décisionnelle ;
- le soutien de ses pairs du G20 au Fonds monétaire africain, sans que cela ne soit incompatible avec les fonctions du FMI.
Faire converger les autres membres du G20 sur ces deux propositions, s’il obtient un soutien à la majorité qualifiée des chefs d’Etat africains, ne peut que renforcer sa position au G20 et offrir enfin un résultat tangible.
Enfin, il va de soi que tout échec du Président Sarkozy au G20 et plus particulièrement sur l’amélioration du sort de l’Afrique, pourrait devenir un thème de la campagne présidentielle en France, thème qui pourrait servir de baromètre pour juger de la capacité du candidat à obtenir des résultats concrets ou à faire dans la communication avec un certain talent.
4. TAXE SUR LES TRANSACTIONS FINANCIERES : DOUTER DE LA FOI
Mettre fin au désordre monétaire est une tâche titanesque. Mais faire semblant de s’en préoccuper est encore plus dangereux surtout si en fin de course, rien de concret ne transparaît. S’il est vrai que personne ne veut revoir la crise financière de 2008 rejaillir, personne n’a encore réglé pour autant le sort des actifs toxiques. En fait, les Etats du G20 n’auront plus la capacité d’endettement nécessaire pour faire face à une nouvelle crise, y compris celle fondée sur la volatilité des matières premières. Faut-il rappeler que ce sont bien des Etats qui prônaient la dérégulation à tout va qui ont fait front pour verser dans l’interventionnisme, avec un zeste de protectionnisme, pour sauver temporairement l’économie mondiale. Mais la discipline fiscale, monétaire et financière qui permet de donner la priorité aux capacités productives et à l’économie réelle tend à se relâcher. La simple coordination entre les pays ne suffira plus et les Banques ne peuvent plus commettre des fautes et attendre que ce soit l’argent des contribuables qui vienne les sauver et leur permettre d’engranger encore plus de substantiels profits et d’octroyer de généreux dividendes. Une telle intervention massive du G20 au profit des petites et moyennes entreprises et du pouvoir d’achat aurait certainement eu un effet dynamisant sur l’économie, même si certaines banques peu scrupuleuses avaient du fermer boutique. Mais les choix stratégiques ne sont pas discutés et tendent à conforter les banques dans leur rôle irresponsable et d’aspirateur des ressources des contribuables, ceci avec la complicité des Etats du G20. Au moins pour une fois que l’Afrique n’y est pour rien, il y a lieu de le noter.
Faire croire que les problèmes de développement se réduisent à trouver des financements à partir d’une taxe sur les transactions financières – qui n’est d’ailleurs pas une taxe Tobin – est un leurre. La baisse tendancielle des contributions des pays riches à la rubrique à géométrie variable appelée « aide au développement » devenu « aide au Co-développement », n’est qu’une nouvelle mesure pour permettre le financement automatique d’une certaine « aide liée », à ne plus provenir des budgets des Etats des pays riches.
Parler d’un « socle de protection sociale universel » à partir d’une taxe hypothétique sur les transactions financières, par ailleurs farouchement combattue par l’Administration de Barack Obama à Washington, ne doit tromper personne. Il est question peut-être d’assurer le développement de « l’aide » à l’institutionnalisation de la postcolonie – un véritable Co-développement à l’envers – où il est question de se partager le monde au plan économique. Le silence des uns et des autres est un silence coupable et sera jugé comme tel par les générations futures.
5. VERITE DES URNES POUR CHOISIR LES CHEFS D’ETAT AFRICAINS AU G20
Toutefois, si l’Afrique est intégrée au G20 avec une voix décisionnelle, au moins elle pourra s’y opposer tout en restant minoritaire, quoi que le nombre de chefs d’Etat africains qui font passer les intérêts étrangers avant ceux de leur population, puisse réserver des surprises. C’est paradoxalement ce dernier point qui fait que l’Afrique n’arrive pas à parler d’une même voix au point de préférer parfois que ce soit d’autres qui se chargent de défendre ses intérêts. L’histoire a pourtant montré que personne ne peut mieux défendre les intérêts des Africains, que des dirigeants africains légitimes, élus sur la base de la vérité des urnes. Ils ne sont pas bien nombreux à l’Union africaine. Ceci peut expliquer cela. Peut-être que le Mexique qui présidera le G20 en 2012 intégrera l’Afrique au plan décisionnel si la Présidence française ne le fait pas. YEA.
© amaizo.info et afrology.com
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Notes:
- Yves Ekoué Amaïzo, Crise financière internationale : Des réponses alternatives de l’Afrique, collection « interdépendance africaine », éditions Menaibuc, Paris, 2010. ↩