Violences meurtrières en Libye
La libération surprise dans la nuit de jeudi à vendredi du compatriote Alex Kodjo Ahonado capturé au Niger le 16 septembre 2010 avec six autres personnes, a donné lieu une scène presque insolite de la part du pouvoir togolais. Alors que les téléspectateurs savouraient un film sur la première, le plaisir leur fut coupé. Et voilà le ministre de l’Administration territoriale, de la Décentralisation et des Collectivités locales Pascal Bodjona qui envahit l’écran pour servir un communiqué du gouvernement gribouillé promptement pour annoncer la bonne nouvelle. Et ce sont des mots de félicité qui ont été choisis.
Le communiqué a peint un gouvernement très heureux de retrouver le compatriote capturé, et de facto très soucieux de la vie même de ses gouvernés ; la joie était semblable à celle du père qui enregistre le retour à la maison de l’enfant prodigue. L’instant de ce communiqué, le gouvernement est devenu ce berger capable d’abandonner le reste de son troupeau pour aller à la recherche de la brebis égarée, c’est-à-dire un père super aimable, prêt à tous les sacrifices possibles pour sauver un fils en danger. Il ne manquait juste qu’on ne serve aux Togolais que depuis la capture du compatriote et l’annonce par les ravisseurs de leurs conditions de libération, qui sont entre autres, le retrait des troupes françaises d’Afghanistan, Faure Gnassingbe ne retrouve plus l’appétit. La vie des compatriotes coincés à l’étranger préoccupe-t-elle vraiment les gouvernants ?
On a bien peur que non, au regard du sort que vivent les Togolais de Libye. En effet le cas libyen devient assez préoccupant. Si en Tunisie et en Egypte des pertes en vies humaines ont été aussi enregistrées, dans la Grande Jamahiriya arabe libyenne le bilan risque d’être macabre, avec la position affichée par Muammar Kadhafi dans son discours de mardi. C’est un homme que toute humanité a fui, un véritable monstre, prêt à écraser la révolution et qui promet l’enfer aux manifestants, bref l’Harmaguedon, que le monde entier a vu. Et il joint l’acte à la parole. Ses milices et des mercenaires convoyés du Soudan et du Liberia sont mis à contribution, il ordonne des bombardements des villes entières par des hélicoptères et c’est à un véritable carnage qu’on assiste. On parle de plus de mille morts, en une semaine de manifestations. Et les instances onusiennes des droits de l’Homme sont en train de plancher sur une saisine de la Cour pénale internationale pour génocide.
Si les manifestants libyens sont les cibles privilégiées de cette déferlante de violence, les ressortissants étrangers en Libye ne sont pas épargnés. Des sources parlent d’une dizaine d’étrangers tués. Devant cette situation, la solution pour ces ressortissants étrangers pour sauver leur vie, c’est de partir. Et beaucoup de gouvernants vraiment soucieux de la vie de leurs compatriotes n’ont pas attendu que les violences atteignent leur pic ou demandé l’avis de leurs compatriotes en situation avant d’engager leur rapatriement. C’est devenu un réflexe pour les puissances occidentales. Les sociétés pétrolières étrangères ont ordonné très tôt l’évacuation de leurs personnels, ayant jugé qu’ils pourraient être la cible des violences. Le Sénégal, le Nigeria, et le Rwanda auraient envoyé des avions pour le rapatriement de leurs compatriotes et qui seraient stationnés sur le tarmac de l’aéroport de tripoli ou à Malte. Dans tous ces cas, les autorités de ces pays ont senti l’évacuation de leurs concitoyens comme un devoir et n’ont pas attendu une demande d’assistance de leur part avant d’agir. Mais c’est tout le contraire du Togo.
Ce sont les compatriotes Togolais en situation en Libye qui ont dû eux-mêmes appeler Lomé au secours. « Plus d’un demi millier de Togolais vivant en Libye ont demandé l’assistance des autorités de Lomé pour quitter le pays en proie à une insurrection. L’ambassade du Togo à Tripoli a reçu près de 530 requêtes d’évacuation », a écrit, gaiement, le portail web du gouvernement, sans aucun pincement au cœur, sous un titre assez évocateur : « Sauve qui peut » Le Collectif pour la vérité des urnes (Cvu) évoque même un chiffre de 992 Togolais en Libye. Alors que les violences ont atteint leur pic, et des Etats ont déjà engagé des actions d’évacuation, c’est maintenant que « Le ministre des Affaires étrangères, Elliott Ohin, est en étroite concertation avec le chef de l’Etat pour examiner les moyens de donner assistance à ces personnes et d’organiser les opérations permettant de leur faire quitter la Jamayria ». Ce sont juste des mots, et il faut craindre que rien ne soit fait. Et dans ces conditions, ça ne peut qu’être du « Sauve qui peut » pour les compatriotes en Libye.
Si ce n’est pas de l’irresponsabilité d’Etat, cela y ressemble beaucoup. Une fuite manifeste de responsabilités qui pousse les ressortissants Togolais en Libye à explorer d’autres pistes. « Depuis que le Conseil Mondial de la Diaspora togolaise a décidé de mettre en place une ligne de contact permanent pour qu’aucun Togolais de l’étranger ne soit plus seul pour faire face à des difficultés ou des problèmes dans un pays, les membres influents de la Diaspora togolaise ont été approchés pour sauver plus de 400 Togolais et Togolaises bloqués en Libye, notamment à Tripoli. Une demande officielle a été transmise à la Présidence de la République togolaise et est restée sans réponse au moment où est publié ce communiqué. S’agit-il d’indifférence ? De mépris ? Certainement les deux ! Mais les ressortissants de la Diaspora togolaise membres du Collectif pour la vérité des urnes ont été approchés pour tenter de réveiller le Gouvernement togolais pour qu’il prenne dans l’urgence au moins une position officielle et des dispositions matérielles sur le sort des familles togolaises bloquées en Libye », nous apprend justement le Collectif pour la vérité des urnes (Cvu).
Voilà ce que valent les autorités de Lomé. L’agitation qui a suivi la libération du compatriote Alex Kodjo Ahonado n’est qu’une mise en scène visant à emballer les esprits faibles et ainsi s’octroyer les dividendes de cet événement heureux. S’agissant d’un certain souci à la vie des Togolais, cela semble du pipo.
Tino Kossi
VIA LIBERTE HEBDO TOGO