Interview par Farida Nabourema, sur INRI Radio, Washington D.C., Etats-Unis.
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1- Dr Amaïzo, vous êtes l’un des fondateurs du Collectif pour la Vérité des Urnes ou CVU en forme abrégée. Pouvons-nous connaitre le motif derrière la création d’un Collectif et les activités qu’il mène ?
Le Collectif pour la vérité des urnes est le résultat d’une longue analyse que je défends depuis des années et qui a conduit à constater qu’en économie, les gouvernements successifs au Togo, ce depuis l’assassinat du Premier Président, Sylvanus Olympio, n’ont jamais considéré le pouvoir d’achat et l’emploi décent pour les populations togolaises comme une priorité. Au plan politique, le déficit démocratique qui a été sanctionné par près de 15 ans d’embargo de la communauté internationale et les luttes vaillantes du peuple togolais et des partis d’alternance n’arrive pas à être éliminé. Alors il fallait trouver la cause. Les terminologies utilisées par les dirigeants occidentaux sont trompeuses, comme la démocratie. Il ne peut y avoir qu’une démocratie usurpée si, par exemple, le découpage électoral n’est pas équilibré. Il en est de même quand l’esprit de la démocratie n’est pas respecté. Alors, c’est plus grave quand les gouvernements successifs du Togo refusent la vérité des urnes et falsifient le comptage des voix des Togolais et Togolaises, ce avec la complicité des pays occidentaux. Ces derniers en profitent ainsi pour légitimer le statu quo et en fait un système mafieux et un régime militaro-civil ayant choisi la servitude et l’assistanat auprès de certaines puissances occidentales lesquelles, en contrepartie, assistent ces régimes dans la conservation d’un pouvoir ad aeternam grâce à des accords militaires, même modifiés et bien peu transparents.
Je ne pouvais rester neutre ou silencieux. Compte tenu aussi des trahisons de nombreux Togolais dans la lutte pour la vérité des comptes, un cercle d’amis restreints s’est organisé pour créer un groupe d’information qui tente d’éclairer et alerter la communauté internationale et togolaise sur les contradictions de la gestion au Togo. Il suffit en effet de retrouver la vérité des urnes et la vérité des comptes publics pour que le Togo et les citoyens togolais y compris ceux de la Diaspora retrouvent une confiance dans l’avenir de cette société dont les dirigeants sont incapables d’améliorer collectivement le bien-être, refusant au passage de recenser la Diaspora lors du dernier recensement de 2011.
Le CVU est une entité de la diaspora qui a souhaité voir des entités locales et dans différentes parties du globe faire le même travail. Une partie togolaise nous a rejoint mais avait d’autres objectifs. Le CVU-Togo-Diaspora a choisi de se démarquer d’elle, ce d’autant que je finance pour l’essentiel les activités de cvu-togo-diaspora.
2- Dans un de vos articles vous disiez que les togolais n’ont pas le droit de choisir librement leurs représentants parce que les intérêts des forces armées togolaises diffèrent de ceux des populations. Pouvez-vous élaborer un peu plus sur cela?
Il existe une catégorie de militaires non républicains au Togo. Ils sont organisés sur une base clanique et de plus en plus sur une base ésotérique. Ces derniers ont choisi de soutenir une approche patrimoniale de l’Etat. Donc, c’est l’argent facile et la force pour le prendre. Les abus des droits humains, les trafics de tous genres et autres méfaits et forfaitures sont légions. Il est donc évident que les objectifs poursuivis pas ces derniers ne peuvent être les mêmes que ceux des populations et ceux des militaires, minoritaires, qui sont des républicains au Togo.
3- L’opposition togolaise a –t-elle une part de responsabilité dans l’échec de l’instauration de la démocratie au Togo ?
Oui absolument. La plupart des partis ne sont pas démocratiques. Comment est-ce que leur chef est choisi ? Par cooptation et acclamation. Mais ce n’est pas démocratique. Donc le résultat est que ces derniers ne mettent pas en jeu leur élection après une période. Comment alors aller donner des leçons de démocratie à Faure Gnassingbé et à la communauté internationale qui a d’autres intérêts à défendre que ceux du peuple togolais ?
Il faut des élections de type primaires au Togo ou tout au moins entre les principaux dirigeants pour faire émerger un « candidat commun » et non un « candidat unique » comme cela a malheureusement échoué par le passé. Mais, en réalité, certains jouent le jeu du système RPT et ne peuvent avoir un rôle que lorsque l’opposition la plus représentative est bloquée et qu’on usurpe sa victoire.
Alors que faire ? On avait proposé un plan de sortie de crise en 2010 mais Faure Gnassingbé l’a ignoré. Il reste donc que les partis politiques puissent prendre sur eux de se retrouver pour effectuer un vote afin de faire émerger celui ou celle qui pourrait valablement les représenter pendant une période de transition en cas de fin de régime brutale de type coup d’Etat ou règlements de compte entre les militaires, ou alors pour les élections législatives pour occuper d’abord la majorité à l’assemblée nationale pour forcer la cohabitation. Mais tout ceci ne peut se faire sans le soutien officiel de la partie de l’armée républicaine et n’excuse pas le rôle de sabotage de l’opposition du système RPT.
4- Du fait que vous vivez en Europe, vous êtes membre de la diaspora et aussi l’un des responsables du CMDT qui est le Comite Mondial de la Diaspora Togolaise. On vous voit très actif dans de différentes activités menées par la diaspora togolaise aussi bien en Europe qu’en Amérique du Nord. Dites-nous Dr Amaïzo, quel impact selon vous a cette diaspora sur le Togo aussi bien sur le plan politique que socio-économique?
Le premier impact est que la Diaspora togolaise est une Diaspora très généreuse car elle envoie près de 309 millions de $US par an, notamment en 2011 au Togo. Cela veut dire à contrario que le gouvernement a tellement mal géré qu’il a créé plus de 500 000 pauvres supplémentaires en moins de 5 ans, c’est la Banque Mondiale à Lomé qui l’affirme. Alors à ce rythme, la moitié des 7,3 millions de Togolais y compris la Diaspora risque de finir pauvre avec un régime RPT, ce d’ici 2035, puisque c’est à cette date que Faure Gnassingbé compte éventuellement commencer à penser peut-être à quitter le pouvoir, soit un peu moins longtemps que son père.
Oui la Diaspora togolaise a eu peur longtemps à cause d’un peuple togolais qui était adepte de la délation. Mais cette peur face aux médias et avec les nouvelles technologies de l’information et de la communication a disparu. Il ne faut pas croire toutefois qu’il n’y a pas de morts, de blessés, d’enlèvements et de tortures au Togo comme l’a prouvé le dernier rapport de la Commission Nationale des Droits de l’Homme (CNDH), voir la bonne version sur <http://www.scribd.com/doc/82180783/Rapport-CNDH-sur-la-torture-au-Togo-15-Fevrier-2012>.
Alors il faut féliciter le Dr Martin Amouzou et son équipe pour organiser en toute autonomie des structures et associations existantes en points de rencontre de l’ensemble de la Diaspora togolaise. D’ailleurs à ce propos, je vous invite à revoir ce qui a été fait en Allemagne à Hambourg sur les énergies renouvelables, l’irrigation et le tourisme et la coopération avec le secteur privé et le gouvernement allemand (voir des extraits sur www.cvu-togo-diaspora.org et taper CMDT Hambourg dans recherche).
Alors pourquoi cela ne va pas plus vite, c’est que les Togolais et Togolaises refusent de cotiser 52 euros, soit 1 euro par semaine pour soutenir leur organisation mondiale. Donc, il y a beaucoup de méconnaissance et beaucoup de méfiance encore. Par exemple, le Gouvernement fait tout pour éviter de participer de peur que les membres de la Diaspora ne posent des questions. Pourquoi, par exemple, le Togo est allé emprunter près de 200 millions de $US pour une centrale thermique qui ne baisse pas le prix de l’électricité au Togo ? Si on avait investi dans l’énergie solaire avec des systèmes de défiscalisation et la mise en place d’un fonds d’investissement pour la Diaspora togolaise, chacun d’entre nous pourrait financer une solution solaire dans un village togolais. Les prix varient autour de 20 000 euro mais peuvent être moins chers pour les individus. Le CMDT est en train de demander au Gouvernement allemand de soutenir la démarche en mettant en avant un projet intitulé : Autonomisation énergétique au Togo avec une approche publique-privée et une défiscalisation pour le secteur privé allemand qui jouera le jeu. Mais, là encore, on ne comprend pas pourquoi le Gouvernement togolais met en place une structure pour la Diaspora sans associer le CMDT. Il faut de toute façon une structure paritaire associant membres du Gouvernement et CMDT pour faciliter les décisions communes sur les projets et dossiers concernant la diaspora. Mais le Gouvernement ne le souhaite pas et préfère utiliser la Diaspora comme un moyen de soutenir le prochain parti politique de Faure Gnassingbé.
5- Dans les années 90, plusieurs institutions internationales ont suspendu l’aide au développement au Togo du fait de l’extrême violation des droits de l’homme par le régime en place et de la mauvaise gouvernance. Pensez-vous que cette suspension a adouci le régime au pouvoir et fut bénéfique pour les populations togolaises?
Pas du tout. Cela a permis aux groupes militaro-civils de verser dans la diversification et d’introduire des opérations mafieuses au Togo, notamment via l’aéroport de Niamtougou. Alors, sans contrôle extérieur, le Togo se débrouille sans les Occidentaux. C’est pour cela que ces derniers ont repris leur coopération. Car la nature a horreur du vide. Les pays émergents notamment la Chine arrivent en force dans des conditions qui ne sont pas toujours bien négociées en faveur de la population togolaise. Donc, cela a aussi appauvrit les populations… Le problème c’est la communauté internationale qui veut maintenir l’asservissement et la servitude au plan économique et choisit d’envoyer ses aides et autres assistances sous la forme d’aide budgétaire. Cela permet au gouvernement de décider de tout et de n’être responsable de rien. Comme cela, une partie de l’argent peut même retourner en Occident pour financer quelques partis politiques… alors, vous croyez que ce n’est pas hypocrite ?
6- De hauts responsables de l’armée togolaise ont tout récemment été accusés d’avoir torturé des civils et militaires togolais à l’Agence Nationale de Renseignement que d’aucuns appellent l’Auschwitz du Togo. Et ce n’est pas la première fois que des rapports accablants imputent aux militaires togolais, des pratiques déshumanisantes. Cependant, aucune sanction réelle n’a jamais été prise contre ces derniers. Ne pensez-vous pas le Togo est toujours dirigé par un régime militaire bien que le chef de l’état Faure Gnassingbé ne soit pas lui-même un militaire?
Justement, j’ai toujours expliqué aux parlementaires occidentaux d’arrêter de voir le Togo avec leur yeux d’occidento-centristes. Il existe un système militaro-civil où le militaire non républicain se cache derrière un civil pour diriger. On vient d’en voir un bon exemple en République démocratique du Congo. Même l’administration de Mr Barack Obama ferme les yeux alors que le Sénateur de Delaware a révélé les fraudes… C’est cela aussi l’hypocrisie des uns et des autres. Il faut de toute façon une approche afrocentrique et que ce soit nous-mêmes Africains, Togolais, Noirs qui expliquions la situation pour éviter des biais et des raccourcis préjudiciables pour les peuples africains.
7- Dr Amaïzo, en tant qu’économiste et analyste politique de renom, vous avez travaillé pour et avec de différentes institutions internationales. Selon -vous, quelle est la perception que ces institutions ont du Togo? Je cite l’O.N.U et l’Union Européenne par exemple.
Il faut savoir que toutes ces institutions bilatérales ou multilatérales travaillent d’abord pour servir les intérêts de leur conseil d’administration. Ce n’est pas différent pour l’ONU. Alors, le problème vient du fait que le peuple togolais croit qu’il y a quelque part une justice qui viendra les sortir d’affaire s’ils ne se lèvent pas eux-mêmes. D’où le taux assez bas de syndicalisation au Togo, mais aussi une difficulté à s’inscrire dans les partis politiques dès lors que la visibilité et la démocratie sont absentes. Mais ces organisations influencent grandement l’avenir des pays. Il faut donc rejeter les approches basées sur l’aide budgétaire pour ne pas renforcer le poids d’un gouvernement qui n’est pas basé sur la vérité des urnes et des comptes. Il faut que la société civile togolaise, africaine en général, s’organise aujourd’hui pour peser demain sur les décisions. Mais c’est le contraire qui se passe. Le CMDT a pour objet aussi d’aider à aller dans ce sens. Puis il faut aussi contrôler quelques médias sinon le politiquement correct fait que la pauvreté ambiante des journalistes amène certains à devenir des extensions du système RPT. Bref, la perception du Togo est très claire, car ils ont pratiquement toutes les informations. Mais ils ne disent rien sauf quand c’est pour défendre leurs intérêts et non ceux du peuple togolais. Bien sûr, tout ceci est drapé dans la défense des droits humains sur papier. Mais l’usurpation de la vérité des urnes au Togo n’est pas différente de celle du Gabon ou de la RDC, etc…
8- Le Togo a rejoint depuis Novembre dernier le conseil de sécurité de l’ONU comme membre non-permanent et a présidé le dit conseil en Février dernier. Direz-vous que cette ascension est une victoire pour le régime et/ou le peuple togolais ?
Il n’y a aucune ascension. Il s’agit d’une représentation rotative et le Togo n’a jamais occupé le poste. Mais comme je l’ai déjà dit, le Togo est là pour arroser les fleurs du bananier car le Togo ne peut s’opposer ni aux Etats-Unis, ni à la France. Même voter abstention risque de lui coûter cher… donc de quelle ascension parlez-vous ? Il s’agit plutôt d’une nouvelle servitude qui profite à Faure Gnassingbé en termes d’amélioration de son image. Mais il a dû aussi livrer quelques libanais contre quelques togolais dans le cadre des travaux de sécurité internationale que mènent les Etats-Unis. Cela explique partiellement la visite au Togo de Mme Clinton il y a un mois environ. Quand on sait que certaines personnalités de nationalité togolaise, parfois avec passeport diplomatique, financent des groupes terroristes, mais aussi certains partis autocratiques, il y a de quoi se poser la question de savoir ce que font les pays occidentaux. La seule chose intéressante de la présence du Togo au Conseil de Sécurité est que la communauté internationale a les yeux braqués sur le Togo. Depuis, vous avez constaté que l’opposition, laquelle est en fait le vrai gagnant des élections usurpées en 2005 et en 2010, peut circuler presque librement et manifester sans qu’il y ait des kidnappings intempestifs, des blessés et des morts, sans compter les chantages de tous genres.
9- Le thème choisi par Faure Gnassingbé pour la présidence du Togo au conseil de sécurité de l’ONU est « La Menace à la paix et la sécurité internationale causée par la criminalité en Afrique de l’ouest ». Pensez-vous Dr Amaïzo que le Togo soit un modèle de garant de la sécurité internationale alors que plusieurs responsables du gouvernement et de l’armée togolaise sont soupçonnés d’être impliqués dans des affaires louches tel que le trafic de drogue, le blanchiment d’argent et la collaboration avec des personnes soupçonnées de financer les réseaux terroristes tels que le Hezbollah ?
Le thème n’est pas de Faure Gnassingbé. C’est le thème de la communauté internationale. Entre la Somalie, et les groupuscules d’al Qu’Aïda ou Boko Haram au Nigeria, il y a de quoi faire. Par ailleurs, cela permet d’avoir des renforts militaires sous la forme de formations comme font les Etats-Unis ou d’autres et ainsi consolider l’autocratie. Il semble que le Gouvernement, malgré ses grands moyens de renseignements, croit, à tort, que la vérité des urnes pourra sortir du Togo si ce régime perdure avec des militaires qui se cachent derrière les civils. Non, le Togo n’est pas le modèle mais c’est le bon exemple pour obtenir des informations et attraper quelques agents des réseaux mondiaux qui vivent au Togo, tranquillement depuis des années. Il faut être conscient du double jeu hypocrite des uns et des autres… et ainsi, il est préférable de contrôler l’autocrate que l’on connaît que d’aller chercher des opposants togolais qui n’arrivent pas à faire la démocratie dans leur propre parti politique.
10- Plusieurs observateurs politiques à l’étranger voient le Togo comme un pays fermé ou rien ne bouge sur le plan politique. Etes-vous d’avis avec eux que la politique togolaise est scellée par le régime au pouvoir et qu’il n’y aucune porte de sortie pour la dictature?
Bien sûr que non. Ce que l’homme ou la femme a fait, l’homme ou la femme peut le défaire. Mais il faut être courageux. Il faut analyser et connaître l’adversaire. Il faut en parler et montrer au monde les évidences des abus de pouvoir et de droits. Il faut enfin surtout savoir ce que l’on veut comme la vérité des urnes et des comptes. Maintenant, il faut apprendre aux Togolais et Togolaises à ne pas rester égoïstes, ou peureux ou encore à céder à la fatalité mais à se rapprocher des différentes associations ou partis politiques de son choix pour comprendre ce qui se passe et choisir l’alternance pour eux-mêmes, mais aussi pour leurs enfants. La fuite en avant comme font certains Togolais et Togolaises qui oublient le Togo dès qu’ils ou elles ont un autre passeport est un fait désolant. Ce sont des lâches par rapport à ceux qui continuent de souffrir sur le terrain. La porte de sortie est la construction patiente de la crédibilité de l’opposition et de la société civile togolaise. C’est un marathon démocratique. Une fois cela en place, l’armée républicaine suivra et la majorité basculera. Dieu y veillera. Mais il ne bougera pas si les Togolais et Togolaises ne se bougent pas eux-mêmes. Je vous remercie de la conversation et des questions pertinentes posées. YEA.