Gert Schramm fait partie des 3 survivants Allemands du camp de concentration de Buchenwald. En tout il n’en reste plus que 9 dans le monde. Le 11 avril 2012 a eu lieu la cérémonie de commémoration de la libération du camp. Les rescapés venus du monde entier étaient présents.
Dans le cadre de la “Semaine Internationale contre le Racisme”, Gert Schramm était l’invité d’honneur au lycée Ohm (Ohm-Gymnasium) à Erlangen. Allemagne, le 20 mars 2012.
Biographie
Gert Schramm est né le 25 novembre 1928 à Erfurt (Allemagne) d’un père Africain-Américain et d’une mère Allemande. Après la seconde guerre mondiale, il a travaillé d’abord pour les Américains et ensuite comme interprète pour les forces alliées soviétiques et, plus particulièrement, pour l’administration militaire russe établie en Allemagne de l’est, puis comme mineur “porion” en France, dans le Pas-de Calais, à Liévin.
De retour en Allemagne de l’est, il renonce à une carrière de fonctionnaire politique et travaille dans les mines, puis dans le système des transports. Il crée sa propre entreprise de taxis dans l’ex-République Démocratique Allemande. Il a été le président de l’Association des Entrepreneurs de Taxi à Eberswalde. Gert Schramm a été durant de longues années, juge d’honneur c’est-à-dire membre des jurés auprès du tribunal de sa ville. Il est membre du conseil des prisonniers auprès du comité international des détenus de Buchenwald-Dora. Gert Schramm vit à Eberswalde, une ville qui fit longtemps la une de l’actualité en Allemagne en raison des violences racistes qui ont secoué cette partie de l’Allemagne après la Réunification. Juste après son intégration à la République Fédérale, l’Allemagne de l’Est a connu une vague de xénophobie ahurissante qui a abouti à de nombreux actes de violence et des crimes à caractère raciste. Schramm se retire de la vie active après la Réunification de l’Allemagne, en 1990. Depuis lors, Il est engagé dans la lutte contre le racisme, les extrémistes de Droite et les Nazis qui troublent l’ordre public par leurs propos racistes, leur violence et leurs actes criminels.
Gert Schramm, témoin vivant du troisième Reich
En tant que témoin occulaire du National-Socialisme, Gert Schramm raconte, dans sa biographie, son odyssée dans plusieurs prisons de la Gestapo. Il a été maintenu dans l’isolation la plus totale durant un an à Langensalsa, à Erfurt et Weimar et a finalement été interné. A l’âge de 14 ans, il est incarcéré au camp de concentration de Buchenwald en raison des „lois sur l’infâmie raciale”. Durant des mois, il vit isolé du monde sans connaître le motif de son arrestation, car il est trop jeune pour comprendre que les lois sur “L’infâmie raciale“ (Rassengesetzte) de 1935 s’appliquent à tous ceux que le pouvoir nazi ne considère pas comme des aryens. En effet, comme il est né d’un père Noir Américain et d’une mère Allemande, Gert tombe sous le coup de cette loi discriminatoire et ignoble.
“Un pouvoir quelconque avait envahi ma vie et m’avait, moi un jeune de 14 ans, arraché d’un coup et de façon arbitraire à mon entourage. Je n’avais jamais pensé que les lois sur l’infamie raciale me menaçaient.” p.54 (Traduction de Pierrette Herzberger-Fofana)
Gert Schramm parle également de sa vie en tant que métis Allemand dans un environnement entièrement blanc et de son père, Jack Bransken, qu’il n’a pas connu. En effet, ce dernier était venu en Allemagne en tant qu’ingénieur pour travailler à la réfection des ponts et chaussées, dans les années 1920. Sa relation amoureuse avec une jeune fille nommée Marianne Schramm donnera naissance à un enfant de l’amour, Gert. Lorsque son père revient, en 1943, pour épouser la femme de ses rêves, il est emprisonné et déporté au camp de concentration d’Auschwitz. Ses traces se perdent dès cet instant. Jack Bransken est–il décédé durant sa déportation, donc en route? Est-il mort au camp de concentration d’Auschwitz? Nul ne le sait. Gert grandit nourri de l’affection de ses grands-parents maternels qui l’aiment comme leur propre enfant. Sa mère est condamnée au travail forcé dans une usine et à se présenter chaque semaine à la police secrète nazie, ou Gestapo, à cause de son soi-disant faux pas. Le 6 mai 1943, Gert est arrêté à son lieu de travail où il accomplit un apprentissage.
“Le matin du 6 mai 1943 promettait d’être une belle journée de printemps….Sans aucune explication, on m’emmena comme si j’étais un criminel.” (p. 53.) (Traduction de P.H.Fofana).
Dès lors commence son calvaire dans l’enfer du camp de concentration de Buchenwald. Grâce à la solidarité de ses co-détenus, en majorité des communistes Allemands, Gert survivra. Les coups, le harcèlement raciste et le manque de nourriture deviennent son lot quotidien durant toute cette période. A Buchenwald, Schramm travaille dans les carrières, un travail surhumain qui dépasse ses forces physiques. Tous les jours Gert voit comment des dizaines de personnes meurent d’épuisement. Lors de l’appel, les détenus, des communistes allemands le cachent au milieu d’eux afin qu’ils ne soient pas livrés à la brutalité des SS. Un jour par exemple, le médecin lui enlève du crâne un morceau de métal sans l’anesthésier au préalable. Brutalité, coups de pied et maltraitance caractérisent le comportement des SS dans les camps de concentration. L’auteur narre de nombreuses atrocités commises par les SS. C’est ainsi qu’un jour, un jeune détenu russe est abattu à bout portant pour avoir cueilli une pomme alors que tous les prisonniers se rendaient aux carrières et passaient devant un pommier.
De tels souvenirs demeurent à jamais gravés dans sa mémoire. Lorsque les forces alliées américaines arrivent à Buchenwald, elles obligent la population à venir voir tous ces cadavres qui jonchent le sol. L’auteur ne croit pas à la légende du “on ne savait pas, on n’était pas au courant”, car les prisonniers traversaient tous les jours le village. En tout 56 000 personnes sont décédées au camp de concentration de Buchenwald. Le 11 avril 1945, les prisonniers libèrent le camp lorsque retentit au haut-parleur :
“Camarades. Nous sommes libres. Restez calmes et disciplinés ! ” (Traduction P.H.F.p.116)
Deux jours plus tard, soit le 13 avril 1945 le 317ème Régiment d’infanterie des Américains arrive à Buchenwald. Le comité du camp lui remet les SS faits prisonniers. Gert quittera le camp, en juin 1945, à la fin de la guerre, lorsque les Américains arriveront à Buchenwald. Ces derniers sont tout étonnés de trouver un jeune homme noir dans le camp.
Tu es le chef ici. Toi tu être à Buchenwald. Toi pas être nazi. Nous pas connaître autre meilleure personne“.(Traduction P.H.F.p.125 )
L’administration américaine le nomme à 17 ans chef du dépôt d’approvisionnement. Un poste honorable, à une époque où la famine sévissait en Allemagne à la fin de la seconde guerre mondiale.
Les déportés africains dans les camps de concentration
Nous nous inclinons devant la mémoire des nombreux Africains, afro-américains Antillais et métis Allemands décédés au camp de concentration de Buchenwald. Ils ont pour nom Antoine Bœuf, Antillais né le 1er août 1905 à Fort-de France, numéro de matricule 69 696 à Buchenwald y a séjourné du 6 août 1944 au 12 avril 1945, décédé lors d’une marche forcée à Elsdorf. Baba Diallo, geb. 1908 in Baroueli en Guinée, chauffeur du gouverneur et ex ministre des colonies Georges Mandel, Raphaël Elize né le 4 février 1891 au Lamentin (Martinique) déporté à Buchenwald le 19 janvier 1944 transféré au camp de Gutsloff-Weimar où il est décédé le 9 février 1945. Cet ancien vétérinaire fut le premier maire “de couleur” en France métropolitaine à Sablé-sur-Sarthe en 1929. La liste est longue des Africains et leurs descendants qui sont décédés dans les camps de concentration. Les Noirs, Africains ou descendants d’Africains sont les grands oubliés de toutes les cérémonies commémoratives qui ont eu lieu jusqu’à ce jour.
Le livre de Gert Schramm « Wer hat Angst vorm schwarzen Mann » (Qui a peur de l’Homme noir. Ma vie en Allemagne)
est un témoignage poignant d’un pan de l’histoire du 20ème siècle. C’est le récit impressionnant d’un jeune métis Allemand dont le destin a basculé du jour au lendemain. lendemain. Schramm a vécu la période du “Troisième Reich”. Il a réussi á s’affirmer dans l’ancienne Allemagne de l’Est et a trouvé sa voie après la Réunification allemande. Citoyen de l’ancienne République Démocratique Allemand (RDA), Gert Schramm a vécu les arcanes du socialisme dans cette partie de l’Allemagne. Il termine son ouvrage sur une note d’espoir et écrit:
“Que j’aie finalement réussi à écrire mon histoire, ne marque pas une fin en soi, mais un début.”
Dans son livre, Gert Schramm montre également comment le racisme et la discrimination ont survécu au temps et ont pris une nouvelle forme après le “deutsche Wende” (Le tournant allemand), expression idiomatique plus neutre pour désigner la Réunification allemande ou l’intégration de la république démocratique allemande (RDA) dans la république fédérale allemande (RFA). En effet, après la Réunification, on a assisté, en Allemagne, à des scènes de racisme exacerbé. Les Nazis, véritables forces du mal, se sont déchaînés sur les étrangers et, en particulier, sur les “minorités visibles”. Ainsi, des foyers d’immigrés ont été les cibles de la furie des nationaux-socialistes qui les ont incendiés. La première victime fut Amadeus Antonio Kiowa, Un Angolais de 28 ans qui a été assassiné le 6 décembre 1990, à Eberswalde, par des Skinheads. Ces jeunes Nazis ont terrorisé d’honorables citoyens et immigrés durant plus d’une décennie. Eberswalde est la ville où vit Gert Schramm.
Standing ovation pour Gert Schramm
Gert Schramm est un témoin de son temps, un excellent conférencier qui raconte sans pathétisme, les instants douloureux de sa vie. Orateur hors pair, Schramm frappe par son charisme, son humour caustique et sa générosité de cœur. Il demeure un modèle vivant pour la jeune génération. A travers son histoire, les jeunes peuvent mieux appréhender les méfaits que la discrimination et les préjugés raciaux engendrent.
Au cours de la discussion, les élèves ont été frappés par les réponses de Gert Schramm. Par exemple, il a mentionné qu’il ne ressentait aucune haine ou sentiment de vengeance à l’égard de ses bourreaux qui, avec cynisme, ont utilisé toutes sortes de tortures et de maltraitance pour le pousser jusqu’á la limite de ses forces physiques. Lorsqu’il a raconté l’épisode de son maître d’école, un “Nazi 150%” qui passait tout son temps à le tabasser, qu’il fasse ses devoirs ou non, il a démontré que la machinerie nazie avait atteint toutes les couches sociales du pays. Gert avait droit à ses coups de fouet quotidiens, si bien qu’il avait décidé de ne plus faire du tout ses devoirs et de s’adonner à l’école buissonnière pour échapper aux sévices corporels du maître. Ce même instituteur n’hésitera pas à envoyer des lettres à l’inspection académique afin de le faire interner dans un foyer pour jeunes délinquants car, selon lui
“C’est un Nègre bâtard et doit être écarté de la communauté allemande” (ma traductionp.24)
A son avis de par sa race, Gert Schramm représente un élément nocif pour la jeunesse. Le service de santé envisage même sa stérilisation car Gert se trouve à l’âge de la puberté et pourrait nouer une amitié avec une camarade de classe. Heureusement pour lui que le foyer pour enfants sinti avait refusé de le prendre, ce qui lui a épargné la stérilisation et la déportation. Les 40 pupilles de ce foyer ont été par la suite déportés au camp de concentration d’Auschwitz où ils ont tous été gazés. Ce ne sera qu’en 2001 que Gert Schramm aura connaissance de tous ces documents écrits par un enseignant qui apparemment a failli à sa mission, celle d’élever un enfant dans le respect de la personne humaine et lui inculquer des principes universels de justice, d’égalité et de vérité.
Gert Schramm et la jeunesse allemande
Gert Schramm a littéralement enthousiasmé et fasciné les lycéens Allemands et le public venu le soir qui ont découvert un pan de leur histoire. Ils ont ponctué la présentation de son livre et ses réponses de nombreux applaudissements. Et c’est tout spontanément qu’ils lui ont offert des applaudissements debout, une standing ovation. Pour tous ces jeunes, en majorité des Allemands des classes de 3ème, seconde et 1ère, ce fut une expérience fort enrichissante. Près de 200 élèves ont ainsi pris part à ce cours magistral interactif. Pour la première fois, le cours d’histoire inscrit à leur programme prenait une forme concrète. Ils avaient devant eux une victime de la folie meurtrière du Troisième Reich, mais aussi un modèle de vertu. Bien qu’il ait subi des sévices inouïs, Gert Schramm a conservé des qualités qui en font une personnalité de valeur, digne dans son comportement et attachant pour tous ceux qui l’ont approché. L’amertume ne ternit pas son visage. L’esprit vindicatif ne l’habite pas non plus bien qu’il porte encore les stigmates de son passage au camp de concentration sur son bras. Le numéro d’immatriculation 49489 que les Nazis de Buchenwald lui ont tatoué sur son bras gauche ainsi que le triangle rouge qui permettait de l’identifier comme prisonnier politique Allemand “Neger-Mischlings 1. Grade” (Nègre-métis de 1 er grade) sont aujourd’hui encore
“ne tombent jamais dans les griffes de ces bandits de Nazis racistes et qu’ils ne soient pas sensibles à leurs paroles marquées par la haine et la discrimination raciale.“
Ce message de réconciliation avec sa propre personne et avec ses bourreaux aura un impact certain sur ces adolescents qui ont partagé durant quelques instants l’aventure d’un rescapé du camp de concentration, victime du racisme d’Etat et de l’arbitraire nazi.
Cette leçon magistrale demeurera à jamais gravée dans leurs mémoires. Nous joignons nos remerciements à ceux de la directrice du lycée “Ohm-Gymnasium Erlangen”, du corps professoral et des élèves pour ce magnifique exposé.
Nous remercions du fond du cœur Gert Schramm qui a accepté notre invitation et fait plus de 600 kilomètres pour venir témoigner le matin devant des jeunes, afin que le “plus jamais ça” demeure une réalité. La présentation de son livre le soir a été également un plein succès.
Nous recommandons vivement la traduction de cet ouvrage dans toutes les langues de grande diffusion internationale. C’est l’un des rares documents d’un Allemand, d’origine africaine qui est né, a grandi en Allemagne et a vécu l’enfer des camps de concentration à une époque où la couleur de la peau était déterminante au point de provoquer l’incarcération d’un adolescent au sortir de l’enfance: Gert Schramm n’avait que 14 ans lorsqu’on l’a emmené à Buchenwald.
Dr. Pierrette Herzberger-Fofana
Drpzbergerfofana@hotmail.com; Drpherzbergerfofana@gmail.com
Remarques
Mes sincères remerciements à mon collègue François Cartigny pour les données sur Antoine Bœuf, déporté Antillais.; ainsi qu’au Dr. Sabine Schiffer, directrice de l’institut des Médias d’Erlangen qui a mis sur youtube, la conférence du 20.3. 2012 au lycée Ohm Erlangen Video-online:
La GESTAPO ou “Geheime Staatspolizei” était la police secrète de l’état nazi. C’était l’organe criminel de la police politique à l’époque du national socialisme en Allemagne, soit de 1933 à 1945.
Pierrette Herzberger-Fofana. „Dominique Amigou Mendy, rescapé du camp de concentration de Neuengamme (1909-2003) http://www.grioo.com/info5094.html
Pierrette Herzberger-Fofana “El Hadj Alioune Gadio, Doyen des anciens combattants, déporté en Allemagne” (1920-2008) voir : http://www.grioo.com/ar,el_hadj_ousmane_alioune_gadio_doyen_des_anciens_combattants_deporte_en_allemagne_1920-2008_,15694.html ; www.afrology.com
Pierrette Herzberger-Fofana. „Schwarzer Stern“ de Michèle Maillet Etoile Noire. (original)Roman in Afro-Look. Berlin 1996, p. 12.
Pierrette Herzberger-Fofana, « Neger, Neger Schornsteinfeger. Meine Kindheit in Deutschland de Jürgen Massaquoi , Biographie. (“Destined to Witness. Growing Up Black in Nazi Germany.” Original anglais) Jürgen Massaquoi, un autre métis Allemand qui a également vécu la période nazie à Hambourg mais n’a pas été incarcéré dans un camp de concentration. In: Regards Africains et Africa Positive, 2000.