Aux démocrates et aux forces de l’avenir du Togo,
Chers compatriotes démocrates,
La résistance multiforme du peuple togolais depuis quarante-cinq interminables années de dictature militaire du clan Gnassingbe, a fini par laisser des stigmates traumatisants dans l’esprit de nos compatriotes. Le pays est sinistré, les valeurs les plus nobles sont foulées aux pieds.
Au cri de liberté du peuple, des organisations politiques et de la société civile ont répondu pour organiser et diriger la lutte. Les forces démocratiques, mal outillées stratégiquement du fait de leur suffisance arrogante ou de leur leadership qui s’apparente à du nombrilisme, n’ont cessé de naviguer à vue entre recomposition et décomposition, trahisons éhontées et collaboration hypocrite pour s’inviter à la mangeoire, irresponsabilité et résignation, autodestruction et opportunisme égocentrique, pseudo-leadership et démagogie populiste. L’opposition démocratique, qui naguère avait fait la fierté des Togolais, n’existe plus malgré les soubresauts spasmodiques de quelques organisations politiques qui luttent pour ne pas disparaître mais dont la stratégie est inexistante sinon floue, l’essentiel étant d’exister pour meubler le paysage politique et flatter l’ego surdimensionné de quelques politiciens désabusés par les échecs et leur propre turpitude. Qui ose tirer les leçons de ses échecs ?
UN ETAT DES LIEUX CATASTROPHIQUE
– La ruine économique du pays : tous les indicateurs économiques sont négatifs. Le Togo a même été admis dans le cercle peu vertueux de la mauvaise gouvernance : les pays pauvres très endettés(PPTE). La paupérisation des masses populaires a atteint un niveau jamais vu auparavant. Les armées de chômeurs et de personnes sinistrées matériellement, moralement, physiquement sont une bombe à retardement qui explosera tôt ou tard au nez des dirigeants, mais qui risquera de déstabiliser l’Etat lui-même. Les campagnes sont abandonnées à elles-mêmes et les paysans continuent de cultiver la terre avec une simple houe cinquante-deux ans après l’ « indépendance » alors que la vocation agricole du Togo est proclamée par la propagande du régime à tue-tête. Que des citadins soient obligés d’expédier des vivres à leurs parents des campagnes est devenu le paradoxe et le scandale à l’aube de ce 21eme siècle. Autre paradoxe : plus le peuple se clochardise par la misère, plus ses dirigeants illégitimes accumulent des fortunes miraculeuses dignes des Contes des mille et une nuits. C’est ce que les économistes appellent une courbe en ciseaux, c’est-à-dire que les courbes se croisent pendant que l’une monte et que l’autre descend.
– L’impunité et la corruption : dans le Togo gouverné par les Gnassingbe père et fils, l’assassinat, le viol, le vol, la torture et autres traitements cruels, inhumains et dégradants demeurent impunis dès lors qu’ils sont commis pour protéger le régime scélérat et ses intérêts mafieux. L’Etat prédateur, non content d’être une kleptocratie, est devenu une pornocratie hideuse qui voit des courtisanes, des salopes mal baisées, des chiennes en chaleur et des prostituées de haut vol orienter la politique de l’Etat en faveur de leurs intérêts crapuleux. Toute notre administration est une entreprise de racket systématique des populations et du monde des affaires dont les principaux bénéficiaires se trouvent au sommet de l’Etat.
– L’exercice des libertés publiques : la dictature archaïque d’un autre âge, dont l’existence est un sujet de honte pour tous les Togolais qui aiment leur pays, considère la Constitution de la République, la seule qui soit légitime, celle de 1992, comme un chiffon de papier. La plupart des libertés publiques sont bafouées et réprimées, à l’occasion, dans le sang avec une barbarie inouïe. Même les enfants ne sont pas épargnés ! La fermeture arbitraire et la censure des médias critiques vis-à-vis du pouvoir font partie du paysage médiatique togolais avec deux organismes inquisitoriaux, les bras armés de la dictature RPTiste, que sont l’Autorité de Réglementation des secteurs des Postes et Télécommunications (ARTP) et la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication (HAAC), de véritables repaires d’antidémocrates notoires qui justifient leur présence dans ces cloaques merdeux par la politique du ventre. La justice qui doit protéger les citoyens est transformée par les despotes en instrument inique de règlements de comptes et en poubelle.
– L’organisation d’élections frauduleuses et sanglantes : le sport favori du régime barbare qui écrase les Togolais par la violence et la médiocrité consiste à organiser des élections truquées à coups de machettes et de fusils pour empêcher les démocrates de réclamer leurs victoires volées après le viol de la souveraineté du peuple à travers son droit constitutionnel d’élire librement ses dirigeants. Non contents de voler le pain de la bouche du peuple, ses ennemis mortels lui volent aussi ses droits civiques. Mais pendant ce temps, les partis qui se prétendent démocratiques, avancent au combat en ordre dispersé, la calomnie pleine la bouche contre les partis du même bord, en se trompant grossièrement d’adversaires à la grande satisfaction de la dictature. Et quand sont proclamés les résultats frauduleux et que s’engage le bras de fer entre le vrai vainqueur et le clan des voleurs de la république, ce vainqueur goûte avec amertume la solitude d’avoir à lutter tout seul, abandonné par les partis « amis », contre la force disproportionnée d’un appareil militaro-fasciste au service des gangsters. Le résultat d’une telle attitude scandaleuse ne s’est pas fait attendre au sein de la population : la démobilisation.
REMOBILISER LE PEUPLE TOGOLAIS AUTOUR D’UN UNIQUE OBJECTIF : L’ABANDON DU POUVOIR PAR L’ARMEE
Cher compatriotes,
S’il est vrai pour tous les analystes crédibles de la politique togolaise que la stratégie du régime militaire RPT a toujours été transparente depuis la mascarade présidentielle de 1993, il est aussi vrai que certains courants des forces démocratiques – les courants majoritaires, hélas ! – ont fait preuve d’aveuglement politique ou de complicité par rapport à cette stratégie notoirement antidémocratique. Après chaque détournement du suffrage populaire, il est organisé par le despote de service avec la complicité de la France et de ses réseaux mafieux de la Françafrique, des accords pouvoir/opposition pour amuser la galerie puisque, jusqu’à ce jour, les treize ou quatorze accords de ce genre n’ont jamais été respectés par le pouvoir et n’ont pas réglé d’un iota la crise togolaise ; bien au contraire.
Au moment où s’amorce un début de remobilisation organisé par le Collectif « Sauvons le Togo », qui mérite d’être félicité pour l’initiative patriotique, ceux qui ont refusé de prendre ce train pour des motifs liés aux haines entretenues au sein de l’opposition démocratique, viennent de créer la Coalition Arc-en-ciel. Ne jetons pas la pierre à ce dernier regroupement politique sans avoir goûté à ses fruits comme le font déjà des responsables politiques et des journaux de l’opposition. Le démon de la division est déjà à l’œuvre dans le mouvement dialectique de remobilisation-démobilisation. Mais il n’empêche que l’existence de deux interlocuteurs face au RPT, offre à ce dernier un levier supplémentaire, donc une meilleure opportunité de mieux diviser les forces démocratiques.
En considérant la volonté du peuple togolais d’aller vers de grands sacrifices pour sa libération, à travers sa remobilisation massive, il serait inacceptable que les forces démocratiques, comme à leur habitude, devant l’acteur politique majeur de l’échiquier politique togolais que sont les Forces Armées Togolaises (FAT) depuis 1967, s’adonnent une fois de plus à la dérive de l’électoralisme qui consiste, en face d’une dictature militaire, à réclamer avec candeur des conditions d’élections démocratiques. Que les politiciens à l’esprit oublieux se remémorent les lignes du rapport de la Commission d’établissement des faits de l’ONU, dirigée par le Sénégalais Doudou Diène, venue au Togo à la demande de la Ligue Togolaise des Droits de l’Homme (LTDH), suite à la prise du pouvoir sanglante par Faure Gnassingbe. Ledit rapport précisait, après l’audition de nombreux militaires, dont des officiers, que l’état-major des FAT avait détaché, lors des massacres de 2005, deux mille militaires pour appuyer les milices du RPT afin d’affronter les protestataires de l’opposition. Seuls des complices du régime barbare peuvent encore prétendre abuser les Togolais avec la fable d’un soi-disant régime civil.
Les choses étant claires, il faut aller à la racine du mal. Comme dit un proverbe de chez nous, quand la poitrine démange, on ne se gratte pas le dos. Pour ce faire, les forces démocratiques doivent :
- Négocier avec l’armée son départ du pouvoir et refuser toute négociation avec le RPT/PUNIR
- Depuis le coup d’Etat des FAT d’Eyadema, en 1991, contre les institutions démocratiques (Haut Conseil de la République (HCR) et primature), les FAT n’ont jamais été impliquées ou ne se sont jamais senties impliquées dans la dizaine d’accords qui ont tous été des occasions pour la dictature de gagner du temps et de compromettre des opposants trop pressés ou trop gourmands en les associant à un pouvoir antidémocratique pour les discréditer et leur faire partager un bilan criminel et crapuleux. Tous les opposants prétendument « réalistes et sages », les « génies » de la politique togolaise dix fois plus intelligents que les vrais démocrates qui, eux, savent qu’on n’accompagne pas une dictature mais qu’on la détruit, n’ont aucun bilan à offrir au peuple grugé dans sa foi naïve, de leur passage calamiteux au pouvoir avec le clan Gnassingbe. En effet, ils ont eu à assumer, sans broncher, sans oser protester, les violations massives et répétées des droits humains, la répression sauvage des forces démocratiques, les atteintes à la liberté de presse et les agressions scandaleuses et lâches contre des journalistes et des défenseurs des droits de l’homme, le pillage de la République par les voleurs de la République. Des affaires de l’Etat, ils n’ont découvert qu’une opacité digne d’une nuit sans lune. Aujourd’hui, ils rasent les murs. La personne qui, en face d’un mur, si elle agit de bonne foi, fonce toujours dans ce mur au lieu de le contourner, est qualifiée en toute bonne logique – la logique étant l’art de la pensée – de personne inintelligente.
Le vrai pouvoir politique au Togo, ce n’est donc pas le parti ennemi du peuple togolais, le RPT/PUNIR, mais l’armée prise en otage par le clan Gnassingbe. Cette réalité aveuglante impose dorénavant aux forces démocratiques, à travers les deux regroupements politiques que sont le Collectif « Sauvons le Togo » et la Coalition Arc-en-ciel, de refuser toute diversion en négociant du vent avec le RPT/PUNIR qui demeure plus que jamais le cache-sexe malodorant de l’armée. Tous les Togolais, y compris les plus naïfs, ont compris, le 5 février 2005, dans la soirée de ce jour malheureux pour le Togo, qui détient la réalité du pouvoir dans notre pays, lorsqu’ils ont vu avec fureur et dégoût des officiers usurpateurs sans aucune légitimité leur présenter sans élection, dans une succession dynastique scélérate, indigne et crapuleuse, Faure Gnassingbe comme le nouveau président du Togo, de notre cher Togo, à la place de son tyran de père. Aucun des barons du RPT ne fut convié à cet acte de gangstérisme politique, à cette odieuse mascarade qu’ils découvrirent, médusés, comme leurs victimes : les Togolais.
Trouver la bonne stratégie pour convier l’armée à la table des négociations
Dans cette lettre ouverte, il est essentiellement question de faire prendre conscience aux forces démocratiques des vrais enjeux des temps dangereux que vivent les Togolais dont la ligne d’horizon est bouchée par la présence d’un régime débile, archaïque, bête et méchant qui organise diaboliquement la régression systématique de notre pays au point qu’il est menacé de disparition.
Pour éviter toute perte de temps et d’énergie et focaliser la mobilisation du peuple sur l’essentiel, les forces démocratiques, si elles veulent devenir les forces de l’avenir, ont l’impérieux devoir de cesser de réclamer des préalables à l’organisation des élections. La crise que nous vivons dramatiquement n’est pas une affaire d’élections. Les faits l’ont maintes fois prouvé. Nous ne sommes pas dans une démocratie où se pratique l’alternance. Dans une vraie démocratie, on n’organise pas d’élections avec une armée au pouvoir. Combien de fois les Togolais et les électeurs n’ont pas eu à faire l’amer constat que les fusils sont plus puissants que des bulletins de vote ?
Devons-nous récidiver ? Devons-nous continuer de façon insensée à foncer dans le mur ? Tous ceux qui persisteront dans cette stratégie complice devront en rendre compte au peuple togolais qui n’a que trop souffert. Ils ont aussi une part de responsabilité dans l’océan de misère et de souffrance de notre peuple à cause de leurs errements, de leurs reniements et de leurs chamailleries stupides. Dans une guerre, se tromper d’ennemi est toujours un choix suicidaire.
Que les partis politiques rivaux qui se réclament du changement démocratique, convertissent leur haine, leurs ressentiments, leur désir de vengeance les uns envers les autres en pensée stratégique pour trouver les voies et moyens de convier l’armée, à travers tous ses corps et grades représentatifs, à discuter pour l’inciter à quitter le pouvoir pacifiquement au nom de l’amour de la patrie. Ce dialogue intelligent évitera le dialogue armes contre armes tant il est vrai que de plus en plus nombreux sont les Togolais, surtout au sein de la jeunesse, qui préconisent la lutte armée pour se débarrasser de la dictature militaire du clan Gnassingbe et du terrible retard que son maintien au pouvoir impose à tout le pays.
Ce n’est pas ici le lieu de parler de stratégie. Les bons stratèges ne divulguent pas publiquement leurs intentions. La présence d’organisations de la société civile peut être une chance pour les deux regroupements, car elles seules seront capables d’aider les acteurs politiques de l’opposition, de véritables frères ennemis, à transcender leurs différends au profit de l’intérêt général. C’est lorsqu’il est question de partage de gâteau qu’il y a désunion. La présente stratégie ne vise que le départ de l’armée du pouvoir avec Faure Gnassingbe dans ses bagages pour hâter la révolution démocratique. Aucun vrai démocrate ne peut ne pas être d’accord avec cette vision des choses qui n’a rien à voir avec l’électoralisme.
Chers compatriotes,
Je sais qu’aborder le problème des Forces Armées Togolaises fait peur à beaucoup de politiques. Je ne les condamne pas d’avoir peur ; ils ont mille raisons d’avoir peur eu égard aux tueries dont se sont rendus coupables les militaires sous le règne odieux du clan Gnassingbe. Qu’ils se rassurent : beaucoup de militaires qui ont des choses à se reprocher ont aussi une peur bleue du changement. La peur réciproque peut servir de ciment pour enclencher le dialogue devant déboucher sur la renonciation définitive au pouvoir des militaires afin que notre armée devienne une armée républicaine au service exclusif du peuple qu’elle aura la charge de protéger ainsi que ses institutions démocratiques.
L’échec retentissant et honteux de quarante-cinq ans de dictature militaire rétrograde et tragi-comique constitue en soi un argument irréfutable pour les inciter à l’abandon du pouvoir. Quand une équipe veut demeurer au pouvoir, elle présente son bilan. La misère, la clochardisation de tout un peuple, la famine, le délabrement avancé des infrastructures, la pourriture des hôpitaux, l’effondrement du système scolaire et universitaire, la corruption, la kleptocratie et la pornocratie, la course sanglante pour la confiscation du pouvoir entre les frères rivaux et ennemis de la famille Gnassingbe, ne sauraient constituer un bilan de la bonne gouvernance.
Chers compatriotes,
Les options autour desquelles les deux regroupements que sont le Collectif « Sauvons le Togo » et la Coalition Arc-en-ciel veulent opérer la remobilisation du peuple togolais contre la dictature militaire, manquent de pertinence eu égard à la nature fasciste du pouvoir et à l’histoire des élections au Togo : négocier de façon consensuelle les textes électoraux pour l’un, et obtenir des garanties de transparence pour aller aux élections pour l’autre, ne sont que les deux faces d’une même pièce.
Si de par sa volonté le peuple souverain décide que les élections unilatérales et frauduleuses n’auront pas lieu, je ne vois pas comment elles pourraient se dérouler si le peuple en empêche l’organisation en occupant tous les bureaux de vote dans tous les quartiers des villes et dans tous les villages et hameaux du pays.
Chers compatriotes,
Aucun politicien sérieux ne peut demander des sacrifices aux Togolais pour rien, pour du vide, pour des revendications insignifiantes qui consistent à les faire courir sur le pont d’un bateau dans une course illusoire qui n’est, en réalité, qu’un exercice insensé de surplace, un piège inutilement mortel.
Le temps est enfin venu de faire les bons choix. L’humanité, à travers sa longue histoire, a grandi à partir de la critique de ses erreurs. Que les forces démocratiques togolaises ne soient pas capables de se servir de leurs erreurs passées pour en faire une rampe de lancement pour un nouvel envol, serait une tragédie de plus qui mènera notre peuple à la résignation ou au désespoir, lequel désespoir conduit à la violence et à la lutte armée.
La répétition des mêmes erreurs stratégiques face à l’ennemi relève, non pas seulement de la faute, mais aussi de la trahison.
La question fondamentale est la suivante : que voulons-nous exactement ? La bonne réponse conduira à la bonne stratégie, celle qui nous interdit de réitérer les mêmes fautes et de lâcher la proie pour l’ombre.
Salutations militantes.
Lomé, le 18 août 2012.
Ayayi Togoata APEDO-AMAH
Défenseur des Droits de l’Homme.
Combattant de la liberté.