Le vendredi, 5 octobre 2012, la France et 15 pays africains, membres de la zone Franc (Afrique centrale en 1972, la région Afrique de l’Ouest en 1973 avec les Comores) ont célébré le 40e anniversaire de leur coopération monétaire avec la France. Est-ce que quelque chose a changé ? Si oui, pour qui ?
1. Economie : la Zone Franc fait moins bien que l’Afrique subsaharienne
Selon le communiqué conjoint signé le 5 octobre 2012 à Paris par le Président ivoirien Alassane D. Ouattara au nom de ses pairs et le ministre des finances français, Pierre Moscovici, les pays de la zone franc à savoir « les quinze pays d’Afrique de l’ouest, de l’Afrique centrale et des Comores ont été relativement moins touchés par le ralentissement économique global et la fragilité persistante des marchés financiers internationaux 1 ».
Ces déclarations péremptoires ne sont pas confirmées par les statistiques économiques puisque la raison première de la résilience des économies africaines est leur faible intégration à l’économie spéculative des pays du nord. Par ailleurs, la crise financière de 2007/2008 a été ressentie avec un décalage d’un an en Afrique subsaharienne avec une croissance économique médiane du produit intérieur brut (PIB) chutant de 5,3% en 2008 à 3,0% en 2009 alors que pour la zone franc, la croissance du PIB est passée de 4,3 % en 2008 à 2,7 % en 2009. Autrement dit, avant et au cours de la première année de l’après-crise, les pays de la zone franc n’ont pas réussi à faire mieux que la moyenne des pays de l’Afrique subsaharienne. A l’occasion du 40ème anniversaire, il y a malgré tout un peu d’intoxication informationnelle de la part des défenseurs des accords de coopération monétaire de la Zone Franc. Il suffit pourtant de mener l’enquête auprès des populations africaines de la zone franc pour comprendre que la pauvreté, notamment celles des jeunes, a augmenté, ce en référence avec l’augmentation du niveau des inégalités, de la corruption, du non-respect du droit et les difficiles alternances politiques qui sont légions.
2. Entre Transparence, partenariat « win-win » et autocensure des dirigeants africains
Alors quand les dirigeants de la zone franc s’accordent pour « résolument se tourner vers l’avenir », on peut s’interroger si des hommes et femmes politiques censés pourraient se tourner vers le passé ? Depuis qu’il est le Président de la France, François Hollande n’a jamais déclaré explicitement qu’il était contre la « françafrique », ce qui ne veut pas dire d’ailleurs qu’il est pour. Mais « se tourner vers l’avenir », signifie pour les dirigeants de la zone franc, opter pour un « partenariat économique durable, mutuellement profitable » en :
- « encourageant un modèle de développement centré sur un partage équilibré de la création de richesses ; …
- favorisant la croissance et l’emploi en Afrique comme en France ;…
- promouvant des contrats commerciaux justes et équitables ».
En traduisant le partenariat « win-win » par partenariat « mutuellement profitable », on peut se demander si les mots « mutuellement bénéfique » n’auraient pas été plus judicieux, à moins que le mot profitable ait été choisi à bon escient puisqu’il s’agit surtout d’arrangements entre « décideurs politiques » s’autoproclamant souvent comme les seules représentations des populations de la zone franc. Mais en définitive, faut-il encore les croire, ces politiciens, puisque c’est la même chanson qui prévalait déjà il y a 67 ans dès le 26 décembre 1945, quand le franc CFA s’appelait encore le Franc des colonies françaises d’Afrique.
Chacun des partenaires de la zone franc s’accorde à vouloir en finir avec le « temps de l’exploitation outrancière des réserves africaines » en proposant une forme « d’obligation transparence pour les industries extractives – pétrolières, minières, gazières »…
Mais tout ceci a toujours été à l’origine du partenariat entre la France et les pays africains sauf que le mot « transparence » a été confondu avec opacité, réseaux mafieux, clientélisme, bref, françafrique. Les échanges entre la France et les pays de la zone Franc ont toujours été déséquilibrés, sans réciprocité et surtout n’arrivent pas à trouver un équilibre. Pas de marge de manœuvre donc pour les pays africains si la Chine et d’autres pays émergents n’étaient pas venus offrir d’acheter les matières premières non transformées africaines à des prix plus proches de ce que pratiquent les marchés internationaux. Même cela a valu à un Président africain de se retrouver à la Cour pénale internationale. On comprend mieux l’autocensure des dirigeants africains 2 de la Zone Franc pour proposer une réforme sérieuse d’abandon de la zone franc car en définitive, il s’agit d’une décision politique.
Pourtant, François Hollande ne parle plus de la fin de la Françafrique. Il lui reste 4 ans et 7 mois pour démontrer sa capacité à créer une véritable « francophonie économique » et au-delà, à comprendre que les réformettes de perpétuation du Franc CFA qui aurait dû s’appeler « Euro CFA » ne lui feront pas l’économie d’une prise de décision courageuse sur la fin de la zone franc. En attendant, il faut laisser le bénéfice du doute et attendre de voir si toutes ces belles promesses deviendront réalité dans les mois à venir. Dans tous les cas de figures, cela repousse aux calendres grecques la plupart des avancées vers la monnaie commune africaine, qu’elle se décline en plusieurs monnaies sous-régionales ou pas. Avec le départ de l’ex-Président de la Commission de l’Union africaine Dr Jean Ping en octobre 2012, peut-être que les communautés économiques d’Afrique australe et de l’est pourraient avancer plus rapidement que les pays de la zone franc sur la création d’une monnaie commune sous-régionale.
3. Le partenariat « win-win » à la sauce hollandaise : solidaire avec la récession française ?
Le Président A. D. Ouattara et le Ministre de l’économie et des finances français, Pierre Moscovici ont rappelé en clôture de cérémonie que «l’Afrique et la France sont unies par leur histoire ; elles doivent avoir l’ambition et la volonté d’écrire en commun leur futur. C’est une question de solidarité face aux défis auxquels nous sommes aujourd’hui confrontés, qu’ils soient économiques ou de sécurité, en Europe comme en Afrique 3 ». Faut-il comprendre que le nouveau partenariat
« win-win » à la sauce hollandaise se soldera par une continuité des politiques postcoloniales passées sous des formes plus subtiles et moins brutales pour les populations africaines ? Tout en douceur comme dirait l’autre ? Ou faut-il comprendre que l’Afrique francophone dite résiliente et soutenant la croissance mondiale doit voler, « naturellement », au secours d’une Gouvernance économique française qui va plonger ce pays dans la récession en 2013 ? Y-a-t-il d’autres explications qui mettent les intérêts des populations africaines au centre, puisque depuis 1953 lorsque les esclaves noirs ont été exclus du capital de la première banque de la zone franc, les dirigeants africains francophones n’ont jamais orienté la zone franc vers la défense des intérêts des populations africaines ?
Face aux ambiguïtés de la position française qui détient malgré tout une position de véto informel au sein du conseil d’administration de la zone franc, on peut interpréter dans tous les sens les conclusions émanant du 67e anniversaire de la création du Franc CFA et du 159e anniversaire de la véritable création de la banque de la zone franc à Dakar au Sénégal en 1853 4.
4. La Zone Franc est née en 1853, payée par le fruit de la vente des esclaves africains
Bien que les autorités africaines de la Zone franc fêtent le 40e anniversaire de leur coopération monétaire avec la France, c’est en fait l’anniversaire du Franc CFA créé le 26 Décembre 1945, il y a donc plus de 67 ans, qui est fêté. Il a été appelé Franc des colonies françaises d’Afrique: à cette époque, pour 1 FCFA, vous obteniez 1,70 Franc métropolitain (FM). Une réévaluation unilatérale est intervenue en 1948 et pour 1 F CFA, vous obteniez 2 FM. Entre temps, le Nouveau franc français a vu le jour dans les années 1960. La valeur du Franc français a été changée (1 nouveau franc = 0,02 FCFA). Entre le 12 Janvier 1994 et le 31 Décembre 1998, le Franc CFA a connu une dévaluation drastique de manière unilatérale et 1 franc CFA ne valait plus que 0,01 FRF (les fameux nouveaux francs français). En date du 1er janvier 1999, le franc français a été remplacé par l’Euro avec un taux fixe : 1 Euro vaut 655,957 FCFA. L’objectif principal de la création du FCFA a été de rétablir l’autorité monétaire française sur les colonies françaises après la Seconde Guerre mondiale. Cette stratégie globale n’a pas vraiment changé en 2012.
Depuis les indépendances des pays francophones d’Afrique dans les années 1960, le Franc CFA s’est commué en Franc de la Communauté financière africaine. Toutefois, entre 1945 et 1958, il a été appelé Franc des Colonies Françaises d’Afrique et entre 1958 et 1960, le Franc de la Communauté Française d’Afrique. C’est le franc de la zone franc. Aussi, si les économistes africains pourraient écrire l’histoire du FCFA, 1853 devrait être la date anniversaire de la création de la première banque de la Zone Franc. Tout africain devrait savoir que ce fut en 1853, soit il y a 159 ans, que la zone franc a vu le jour avec la création de la Banque du Sénégal à Dakar, une banque ayant à la fois les privilèges d’une banque centrale avec le pouvoir d’émission et les privilèges d’une banque commerciale et d’investissement avec les possibilités de crédit. La date anniversaire pour le lion n’est pas celle de l’antilope. Allez savoir qui est le lion et qui est l’antilope entre la France et les pays africains de la zone franc !
Les mécanismes de coopération monétaire entre la France et les pays africains membres de la Zone Franc sont fondés sur quatre principes fondamentaux : 1. Garantir la convertibilité ; 2. La fixité des parités (taux de change fixes) ; 3. La libre transférabilité et 4. La centralisation en France des réserves de change (non pas par la Banque centrale française, mais par le Trésor français). L’ensemble de la zone franc représente actuellement près de 3 % de la masse monétaire de la zone euro.
La stabilité monétaire et politique promue comme un succès après l’indépendance de l’Afrique dans les années 1960, est équivalente à un transfert de la souveraineté de l’espace francophone aux autorités françaises. La prédominance des autorités françaises à la Commission zone franc n’a pas vraiment favorisé la gouvernance monétaire au service des populations africaines, ni la mise en place d’un développement stratégique, ni l’accès au crédit pour les entreprises productrices de valeur ajoutée et d’emplois. Au contraire, cela a promu un processus de désindustrialisation et une difficile convergence monétaire des différentes économies et cela a totalement bloqué la création de la monnaie commune africaine tant au plan sous-régional que continental sans compter les retards dans la mise en place d’un fond monétaire africain et d’une banque centrale africaine. En fait, la zone franc a surtout favorisé la stabilité des régimes non démocratiques avec des alternances politiques falsifiées ou forcées ou pas d’alternance politique du tout.
La convertibilité du FCFA entre la zone ouest et la zone centrale pourrait être trompeuse : en effet, il y a une même monnaie, une même parité entre le FCFA des deux zones et une même valeur monétaire contre FCFA et euro. Mais des coûts supplémentaires élevés sont à prévoir avec les commissions, un taux de change officiel non respecté avec une décote allant jusqu’à -30 % entre la valeur du FCFA de l’Afrique de l’ouest et celle du FCFA de l’Afrique centrale. Les pièces et billets de banque du FCFA de l’Afrique de l’ouest sont en principe admis dans les pays d’Afrique centrale, et vice versa. Mais dans la pratique, il y a souvent un refus, voir une décote frisant parfois les 60 %. La mauvaise nouvelle de l’histoire de la zone franc est que la convertibilité n’existe qu’avec le Trésor français. En fait, le FCFA n’est pas accepté dans la majeure partie de la zone euro et certainement pas aux États-Unis sauf si la conversion se fait par l’Euro. C’est donc en fait l’Euro qui est converti. Le Franc CFA est une monnaie non convertible sauf avec la France. On peut s’interroger sur la cohérence de la France à vouloir que la zone franc de l’Afrique de l’ouest ne commerce pas avec la zone d’Afrique centrale. Et si c’était délibéré ? Le Président François Hollande tentera avant la fin du terme de son mandat de faire comprendre aux populations africaines qu’il n’a pas l’intention de faire perdurer tout ceci. A moins que ce ne soit justement l’inverse compte tenu de la récession économique en France !
Comme les pays africains francophones doivent transférer sur les comptes du Trésor français au moins 50 % (la moitié) de leurs réserves de change, l’avenir du franc CFA semble compromis. Il n’y a aucun signe déterminant et positif des autorités politiques et financières africaines, notamment les ministres des finances et les gouverneurs des banques centrales, pour une sortie de la Zone franc, encore moins pour la création d’une monnaie commune africaine au niveau sous-régional ou en zone francophone. Les critères de convergence entre les deux zones (ouest et centrale) des pays africains francophones ne convergent pas, sauf sur papier. Le projet du Fonds monétaire africain, de la Banque centrale africaine et de la monnaie africaine commune (régionale ou continentale) sont systématiquement reportés dans le temps… on parle déjà de 2015, voire 2021 et même 2023. Pourtant, une démocratie efficace, c’est-à-dire le respect de la vérité des urnes, dans les économies francophones pourrait permettre d’accélérer le mouvement vers la défense des intérêts des populations africaines. Est-ce que cela peut se faire sans heurter les intérêts non plus de la France, mais des agents de la Françafrique qui se sont fondus dans les forêts sacrées africaines des groupes ésotériques ? Rien n’est moins sûr !
Selon les statistiques du Fond monétaire international et si l’on compare la moyenne des résultats de la période 2004-2008 avec l’année 2012, l’Afrique subsaharienne fait mieux que la zone franc tant au plan de l’amélioration de la richesse par habitant (PIB par habitant) que du solde budgétaire global incluant les dons (voir Tableau 1).YEA.
Tableau 1: Zone Franc CFA comparée à des régions d’Afrique
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ZONE FRANC CFA |
UEMOA* |
CEMAC** |
AFRIQUE SUBSAHARIENNE |
|
Croissance du PIB Par habitant 2004-2008 |
2 |
0,7 % |
3,3 % |
4,2 % |
Croissance du PIB Par habitant 2012 |
2,8 % |
3,5 % |
2,1 % |
3,2 % |
Solde budgétaire global incluant les dons 2004-2008 |
5,1 % |
-0,3 % |
10,3 % |
2,3 % |
Solde budgétaire global incluant les dons 2012 |
-0,4 % |
-4,0 % |
2,6 % |
-0,7 |
*Union économique monétaire ouest-africaine**Communauté économique et monétaire de l’Afrique centraleSource: IMF (2012). REO. SSA April 2012. |
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Notes:
- Amycocos (2012). « COTE D’IVOIRE : Alassane Ouattara et Pierre Moscovici signent une tribune commune » in Koaci.com, 05 octobre 2012, voir <http://koaci.com/articles-77907> accédé le 6 octobre 2012. ↩
- Amaïzo, Y. E. (sous la direction de) (2008). La neutralité coupable : L’autocensure des Africains, un frein aux alternatives ?, avec une préface du Professeur Abel Goumba et une postface de Godwin Tété, éditions Menaibuc : Paris. ↩
- Amycocos, op. cit. ↩
- , Y. E. (2001). Naissance d’une banque de la zone franc: 1848-1901. Priorité aux propriétaires d’esclaves, éditions l’Harmattan : Paris. ↩