FM LIBERTÉ – Radio de la Diaspora Togolaise
Chicago, Etats-Unis
Émission « Visages d’Afrique »
Journaliste : Bill Emile Davolk sur FM Liberté, la Radio de la Diaspora
Interview du Dimanche 15 février 2018 – 14h à 15h.
Entretien avec l’invité : Dr. Yves Ekoué Amaïzo, Directeur Afrocentricity Think Tank
Sujet : Monnaie Unique au sein de la CEDEAO et Dialogue au Togo
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Introduction :
Les pays africains de l’Afrique de l’Ouest regroupé dans un cadre régional tentent d’aller vers une monnaie dite « unique ». Enfumage ou fuite en avant ?
Au Togo alors que près de 27 dialogues n’ont pas permis d’avancer vers une vérité des urnes, le peuple togolais demande le départ de leur Président en exigeant le retour à la Constitution de 1992 modifiée unilatéralement par le système militaro-civil au pouvoir. Tikpi Atchadam, le Président du Parti National Panafricain (PNP), a relancé le débat le 19 août 2017 par une manifestation sur l’ensemble du territoire. Mais est-ce que les rapports de force sont en faveur des citoyens togolais ?
Dr Yves Ekoué AMAÏZO nous aide à décrypter un peu la complexité de ces deux situations en proposant des « interventions chirurgicales » contre un « virus mutant et qui contamine ».
QUESTIONS DE FM LIBERTÉ
- Bill Emile Davolk : Première partie : la CEDEAO et la monnaie unique à l’horizon 2020. Est-ce enfin le moment tant attendu par certain comme un tournant décisif ?
Dr Yves Ekoué AMAÏZO : Je vous remercie pour l’invitation. Le tournant décisif a commencé en 1963 où la décision avait été prise par les Présidents africains de créer leur monnaie commune et leurs institutions bancaires et financières communes. Le terme d’« unique » utilisé par les Chefs d’Etat est d’ailleurs à la base de la difficulté à créer une monnaie commune africaine. En comparaison, c’est le mot « unité » ou « union » qui empêche l’Union africaine de s’unir. Au contraire, c’est l’interdépendance qu’il fallait choisir et mettre en œuvre sur la base d’un système décisionnel fondé sur la majorité et non sur l’unanimité.
Par ailleurs, la monnaie unique ne doit être à terme que la monnaie panafricaine pour l’ensemble du continent. L’échéance pour celle-ci est bien lointaine compte tenu des difficultés d’organisation et surtout de décision commune des différents dirigeants africains.
Au plan régional, certaines régions avancent plus vite que d’autres, notamment l’Afrique de l’est. Ils ont compris qu’avant la monnaie, il fallait d’abord harmoniser l’espace des échanges. C’est ainsi que l’on peut échanger ou téléphoner dans la zone Est quasiment sans véritable bureaucratie ou contraintes majeures. Le même numéro de téléphone fonctionne sans différence de tarif entre plusieurs pays… Cette forme d’intégration fonde la base d’une future harmonisation dans les autres domaines, fiscales, bancaires et monétaires.
Pour l’Afrique de l’Ouest, le vrai problème est paradoxalement les pays francophones sous tutelle financières et monétaire de la France qui siège dans le conseil d’administration de la zone franc. Donc, la question est de savoir si en fondant l’ensemble des monnaies en une dite « Eco », la France siègera encore dans le conseil d’administration.
- Bill Emile Davolk : Est-ce que les conditions sont réunies pour créer une forte zone monétaire ?
Dr Yves Ekoué AMAÏZO : La réponse est non ! L’harmonisation et la convergence fiscale, monétaire et même bancaire ne sont pas encore au rendez-vous-même si d’importants efforts sont en train d’être faits. Je me permets de vous rappeler que pour que les conditions soient réunies, il faut non seulement que les monnaies qui dépendent de décideurs extérieurs à la zone puissent retrouver leur autonomie de décision, à savoir une convertibilité directe et sans limitation et qu’en plus, les principaux critères de convergence au nombre de quatre principaux et six secondaires soient respectés par chacun des pays membres à savoir (sur base de la réunion de la CEDEAO tenue à Niamey au Niger en octobre 2017) :
- Monnaie commune CEDEAO : critères de convergence principaux (quatre (4) :
1. Un taux d’inflation en dessous de 10 % annuellement ;
2. Un déficit budgétaire égal ou inférieur à 4 % de la richesse nationale (produit intérieur brut – PIB) ;
3. Une banque centrale qui ne pourra pas refinancer les économies de la zone au-delà de 10 % des recettes fiscales de l’année écoulée ;
4. Les réserves devant assurer au moins une couverture de trois mois d’importation.
- Monnaie commune CEDEAO : critères de convergence secondaires (six (6) :
1. Interdiction d’engager le pays dans des nouveaux paiements irrécouvrables et assurer le remboursement des engagements en cours pour éviter le risque de « défaillance de l’Etat » ;
2. Assurer des recettes fiscales égales ou supérieures à 20 % du PIB ;
3. Veiller à ce que la facture salariale (secteur public) soit égale ou inférieur à 35 % des revenus tirés de la fiscalité ;
4. Veiller à un niveau d’investissements public égal ou supérieur à 20 % des recettes fiscales ;
5. Promouvoir un taux de change réel stable ;
6. Assurer un taux d’intérêt réel positif.
- Bill Emile Davolk : Quel impact aura cette monnaie unique sur l’économie du géant de la sous-région, le Nigeria qui a sa propre monnaie le Naira ?
Dr Yves Ekoué AMAÏZO : Décidemment, vous refusez de comprendre que la monnaie unique finira en catastrophe. C’est la monnaie commune dont il faut parler car il est question que chacun fasse preuve d’une discipline monétaire au plan national.
Sinon, pour le moment, le Nigeria n’a pas véritablement précisé sa position quant à son poids au sein du processus de calcul pour établir la monnaie commune. Rappelez-vous le poids de l’Allemagne avec le Deutsche Mark et la France ou la Lire italienne. Aujourd’hui, la monnaie commune Euro profite plus à l’Allemagne qu’aux autres membres. Il ne sera pas bien différent en Afrique de l’Ouest sauf si le Nigeria accepte de « soutenir, pour ne pas dire subventionner » indirectement les pays les moins influents, les plus endettés et les moins créateurs de richesses de la sous-région. L’économie du Nigeria ou de la Côte d’Ivoire, les plus grands pays en termes économiques aujourd’hui risqueront de servir de « locomotives » mais aussi d’attraction. C’est à chacun des pays d’en tirer profit en organisant ses chaines de valeurs et la création de sa richesse en fonction des opportunités offertes et créées. Autrement dit et en filigrane de votre question, le Nigeria n’acceptera jamais de se soumettre à une forme d’intégration au sein du Franc CFA, surtout avec la France participant au conseil d’administration de la zone franc.
- Bill Emile Davolk : Peut-on déjà faire le deuil du franc CFA, puisque 2020 c’est juste dans 2 ans ?
Dr Yves Ekoué AMAÏZO : Entre 2004 et 2017, le Franc CFA n’a pas amélioré le niveau de richesses global des citoyens de la zone francophone. On est passé en moyenne de de 2 % croissance dans les années 2004 à 0,7 % en 2017.
Ceux qui croient faire le deuil du Franc CFA doivent se poser la question de savoir s’il s’agit de faire disparaitre un nom (Franc CFA) ou plus sérieusement de mettre les économies africaines de la sous-région en position d’indépendance, et de discipline monétaire pour assurer une véritable convertibilité de leur monnaie sans passer par la France et la Banque centrale de l’Union européenne.
Non, je ne pense pas que le deuil du FCFA se fera comme par enchantement du jour au lendemain, ce malgré de nombreuses incantations d’activistes. J’ai toujours plaidé pour une période de transition avec une monnaie commune qui accepterait des ajustements en son sein pour la parité et surtout aiderait les populations à s’approprier la nouvelle monnaie. De toutes les façons, le pouvoir libératoire d’une monnaie est une décision politique. Donc le France CFA pourrait disparaitre en 2000 mais est-ce que les chefs d’Etat de la zone d’Afrique de l’Ouest le souhaitent vraiment ? Et les grands lobbies soutenus par les entreprises multinationales françaises le souhaitent-ils ? La réponse est manifestement non ! Donc, peut-être que cela signifie des déstabilisations politiques en perspective pour certains des Etats de la sous-région Mais la vraie question est d’assurer l’unité d’actions des chefs d’Etat sur la question. Pour le moment, il y a plus d’incantations du côté des pays francophones de la CEDEAO qu’une véritable volonté d’aboutir et d’aller vers la monnaie commune. Peut-être qu’il n’y a pas besoin d’avoir l’unanimité de tous pour avancer. Les pays les plus engagés pourront montrer le chemin et s’associer avec une monnaie double, à savoir
a/ d’une part, une monnaie convertible uniquement au sein de la zone africaine qui permettra, entre autres, de soutenir les économies de proximité, les industries locales et permettre au secteur informel (plus de 40 %) de passer avec succès vers le secteur formel en étant efficace au plan de la rentabilité, ce qui garantirait le pouvoir d’achat des artisans locaux ; et
b/ d’autre part, une monnaie convertible au plan international. Regardez ce qu’à fait la Chine ou la Russie pour ce qui est de sa monnaie. Il y a des exemples à considérer.
- Bill Emile Davolk : Est-ce que cette monnaie unique marquera un réel envol économique de la zone CEDEAO ?
Dr Yves Ekoué AMAÏZO : La réponse n’est pas ce que vous croyez car on ne place pas la charrue avant les bœufs et on ne vend pas la peau du zèbre avant de l’avoir tué. En soi la monnaie commune n’est en fait que la résultante d’une bonne gouvernance économique, sociale et financière. En réalité, les pays de la CEDEAO doivent démontrer leur capacité à transformer les matières premières et produits locaux, distribuer un pouvoir d’achat au plan local et créer des richesses et valeurs ajoutées notamment dans le domaine industriel dans la zone. En contrepartie, les populations locales doivent comprendre que leur avenir passe par une culture du « produire et consommer local » avec comme objectif une autosuffisance dans tous les domaines où c’est possible. La création d’emplois décents se fait à ce prix.
- Bill Emile Davolk : Depuis un certain temps, le Maroc frappe à la porte de la CEDEAO, est-ce que cette monnaie unique lui permettra d’y accéder si ces 15 pays forment désormais un bloc monétaire et une zone commerciale plus ou moins solide ?
Dr Yves Ekoué AMAÏZO : Le projet de l’intégration du Maroc au de la CEDEAO est actuellement suspendue. Vraisemblablement, les conséquences de cet élargissement n’avaient pas été suffisamment étudié par ceux des politiques qui plaidaient faveur de l’arrivée du Maroc. Par ailleurs, est-ce que la réciprocité est au programme, à savoir que si le Maroc rentre dans le conseil d’administration de la banque centrale de la CEDEAO à terme, est-ce que les pays de la CEDEAO pourront aussi siéger au conseil d’administration de la banque centrale du Maroc. La réalité pour être simple est de savoir si les consommateurs vont accepter de se laisser envahir par les produits marocains sans véritable contreparties tant au plan de la quantité que de la qualité. Il va de soi que si au plan chronologique, l’espace CEDEAO est libéré avec plus de 50 % d’échanges entre les membres, il n’y aura pas de problème majeur pour accepter de commercer avec d’autres pays. Mais avec moins de 20 % d’échanges intra-CEDEAO et une valeur ajoutée manufacturière moyenne en dessous de 10 % alors qu’il faudra au moins entre 17 % – 22 % de la part du Produit intérieur brut, la monnaie nouvelle commune ne viendra que s’adosser à une économie désarticulée. Sans diversification des produits et un véritable marché libre du commerce intra-CEDEAO, les pays qui disposent d’une avance en termes de capacité productive et commerciale risquent d’inonder le marché de la CEDEAO, ce aux dépens de la balance de paiement des pays les moins influents économiquement de la CEDEAO.
- Bill Emile Davolk : Votre mot de fin sur la monnaie unique en zone CEDEAO ?
Dr Yves Ekoué AMAÏZO : Mon mot de fin est que vous utilisiez le terme de « monnaie commune » qui reflète plus la réalité et moins la monnaie unique qui pose tant de problème ailleurs et a conduit le Royaume Uni ou la Suisse à rester en marge de l’Euro. Les exemples de la Chine mérite de servir d’exemple pour la phase de transition monétaire qui permettra à terme (5-7 ans) d’assoir véritablement le pouvoir libératoire d’une monnaie commune de la CEDEAO dite « ECO ».
Je vous remercie pour l’invitation. YEA.
- Ecouter le postcast sur https://www.youtube.com/watch?v=EbtuyEzZtEM
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