RADIO KANAL K – RADIO AVULETE
Invité du journal : Dr. Yves Ekoué AMAÏZO, Economiste, Directeur Afrocentricity Think Tank
Nom du Journaliste à la Rédaction : M. Sylvain Amos
Adresse: Suisse
Emission du Samedi 18 avril 2020
Sujet : Allégement de la dette, Macron et le Togo : combattre le COVID-19 en Afrique ?
Résumé : Le 15 avril 2020, le Président français Emmanuel Macron annonce dans un discours des allègements immédiats de dettes pour les pays les plus pauvres. Quels impacts sur la gestion de la crise sanitaire actuelle ? et le Togo dans tout ceci ?
- Suite au discours du Président Français Emmanuel MACRON, le Fonds Monétaire International (FMI) annonce l’allègement immédiat de la dette de 25 pays africains dont le Togo. De quelles dettes parle exactement le Fonds monétaire international (FMI) ?
Je vous remercie pour l’invitation. Il faut d’abord replacer le discours du Président français dans un contexte général d’improvisation-ajustement face aux réponses multidimensionnelles à apporter à la pandémie du coronavirus Covid-19 et ses conséquences économiques, sociales, humaines, culturelles et environnementales. Pour une fois, la rigueur budgétaire ne faisait pas partie des priorités des pays riches et prônant l’austérité économique. En effet, la France sera en récession économique et annonce déjà une chute de sa création de richesses, le fameux Produit intérieur brut (PIB) à -9 %, à partir de prévision qui était estimée autour de 1,8 % pour 2020, il y a encore 3 mois. Donc le temps de donner des leçons aux autres est terminé. Mais le temps d’entrer en partenariat intelligent commence. Les dirigeants africains devraient en profiter et cesser de mimer ou de quémander en offrant des solutions africaines contre le COVID-19, notamment en prévention.
Par ailleurs, il ne faudrait pas créer une confusion en n’usurpant le rôle dévolu aux autorités africaines. S’il faut louer l’offre du Président français, il ne faut pas non plus qu’il confonde son rôle avec celui de l’avocat systématique, et parfois non sollicité, des dirigeants africains au sein d’institutions comme le G7, le G20, le FMI, le Groupe de la Banque mondiale, les institutions bilatérales et européennes comme la Commission de l’Union européenne. On aurait mieux préféré entendre le Président Macron proposer d’apporter des financements complémentaires à l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), suite à la décision du Président des Etats-Unis, Donald Trump, de suspendre de sa contribution de près de 15 % du budget fonctionnel de l’OMS, sous le prétexte que cette organisation a suivi avec succès les recommandations de la Chine dans la formulation de solutions au monde pour venir à bout du COVID-19.
Il faut savoir que c’est au G20 que la décision a été prise d’alléger les dettes des pays les plus pauvres. Aujourd’hui, cet allégement se résume à reporter les paiements des arriérés concernant les charges d’intérêts de la dette à 12 mois. Mais la réalité est qu’entre les effets d’annonces du Président Macron d’annuler la dette et la réalité de rééchelonner, c’est-à-dire de repousser dans le temps sans les annuler, une partie de la charge de la dette, il y a une nuance. Vous connaissez le rôle principal du Fonds Monétaire International (FMI). Outre l’allégement temporaire des budgets déficitaires, il est aussi question de faire entrer les pays africains dans un programme d’ajustement structurel (les noms varient) avec les conséquences négatives sur les populations, sans pour autant mettre en cause la mauvaise gouvernance publique des crédits alloués. L’Afrique du Sud vient de refuser avec véhémence de rentrer dans un programme d’ajustement structurel avec le FMI.
Alors, l’annonce de l’allègement immédiat de la dette de 25 pays africains dont le Togo ne portera pas sur le principal de la dette, mais uniquement sur la partie de la dette créée du fait de taux d’intérêts usuriers. Il s’agira en fait que d’un report d’un an.
Entre 5 ans sous le régime de Faure Gnassingbé, c’est-à-dire entre 2014 et 2018, date pour lesquelles les statistiques du FMI de la dette sont disponibles, la dette publique totale du Togo est passée respectivement de 986,3 millions de dollars des Etats Unis ($EU) à 1760,7 millions $EU, soit une augmentation de 78,5 %. La part des crédits offerts par le FMI dans le total de la dette publique togolaise ne représentaient que 23 % (soit 226,6 millions de $EU) en 2014 et a diminué pour ne représenter plus que 15,1 % (soit 266 millions de $EU) en 2018. Autrement dit, le Togo a diversifié ses sources de financement et étant moins tributaire du FMI. Mais sans la création d’un Fonds monétaire africain que le Togo traîne à soutenir, le statu quo risque de continuer.
Mais la réalité est que sans un accord avec le FMI, les autres créanciers du Togo sont moins enclins à prêter. Il est donc bien question de repousser à plus tard, ce au cas par cas, uniquement les intérêts de la dette à plus tard. Le Fonds monétaire international (FMI) va servir à mettre en place les accords-cadres dans lesquelles des conditionnalités devront être acceptées par les Etats africains. Au titre de ces conditionnalités, il y a l’acceptation par les dirigeants africains d’accepter que leurs populations servent de cobayes pour les tests cliniques et thérapeutiques pour les vaccins contre le COVID-19 mais aussi pour toutes formes de maladies émergentes. C’est pour cela que la transparence est de rigueur car certains chefs d’Etat n’ont pas hésité à signer pour se maintenir au pouvoir contre la vérité des urnes. En effet, le FMI comme les créanciers sont très silencieux sur les modifications des Constitutions et le non-respect des procédures transparentes et sécurisées d’élections libres et démocratiques en Afrique. Les populations africaines sont appelées à demander des comptes à leurs dirigeants respectifs sur les conditionnalités effectives signées par ces mêmes dirigeants.
- Le Togo va aussi bénéficier de cet allègement de dette. Pour vous l’économiste, quel sera l’impact de l’allègement de la dette, sur la gestion actuelle de la crise sanitaire liée au COVID-19 ?
Avant de parler de la gestion actuelle de la crise sanitaire liée au COVID-19 au Togo, il faut surtout se pencher sur la gestion passée du système sanitaire au Togo. Il faut savoir que la France dispose en moyenne entre 2009 et 2018, de 3,2 médecins pour 1000 habitants alors que le Togo ne dispose que de 0,003 médecins pour 1000 habitants. Pour ce qui est des infirmières et du personnel soignant, la France dispose pour la même période de 9,7 pour 1000 habitants alors que le Togo ne dispose que de 0,3 infirmières et du personnel soignant pour 1000 habitants. Sur un autre plan pour 200 000 habitants, il y a environ 117 spécialistes en chirurgie en France, 4 pour le Bénin et 1 pour le Togo. Il n’y a pas photo ! Plus de 78 % de la population pauvre au Togo rencontre d’énormes difficultés pour accéder aux soins de santé. Alors il faut que des experts africains indépendants puissent faire le bilan de la mauvaise gouvernance sanitaire au Togo depuis plusieurs décennies.
Il n’y a pas d’hôpital ou de polycliniques de référence international au Togo alors qu’au Ghana voisins, il n’y en a plusieurs. Il n’y pas de papier W.C. dans les toilettes de l’hôpital de référence Sylvanus Olympio de Lomé alors qu’un budget est affecté à cela. Où passe ce budget ? Il faut savoir qu’il y a une partie de l’hôpital dit de « référence de Lomé » est dédié au soin du personnel militaire et une partie pour le soin des populations civiles. Il y a donc une médecine à deux vitesses au Togo.
Alors quel sera l’impact du report de la dette publique togolaise, à savoir uniquement le volet portant sur les charges des intérêts souvent usuriers, sur la gestion par les autorités togolaises de la crise sanitaire liée au COVID-19 ? Cet impact ne sera visible qu’en fin 2020 – début 2021. En réalité, les Etats africains ne pourront payer que la partie soutenable de la dette publique. La partie de la dette dont le paiement est reporté à 12 mois n’est pas gratuite. Le taux d’intérêt appliqué devrait pouvoir être connu. Mais vous constaterez avec moi que là-dessus, c’est l’Omerta de tous les créanciers… A ce rythme, l’enveloppe globale à payer risque uniquement d’augmenter dans un an. Aussi, on risque de se retrouver dans une situation où les Etats africains pourraient collectivement refuser de payer la dette inique basée sur des taux d’intérêts usuriers, si le courage et l’unité d’action collective sont au rendez-vous. C’est assurément pour prévenir tous défauts de paiement que les créanciers occidentaux ont choisi de prendre les devant en annonçant avec beaucoup de fanfares la fausse annulation d’une dette qui ne sera de toutes les façons pas payée à terme.
En réalité, l’impact de l’annulation d’une dette n’équivaut pas un transfert d’équipement médical, ou de savoir faire médical ou encore d’infrastructure hospitalier. Il est en fait question de chercher plus à « intégrer » dans la dette publique, tout ce qui pourra lever la responsabilité des dirigeants africains dans l’état déplorable de l’organisation de la sécurité sanitaire de leurs concitoyens. Bien sûr certains pays sont à louer comme par exemple l’Afrique du sud, l’Algérie, l’Egypte, le Ghana, le Cap Vert, Maurice, les Seychelles.
L’Etat togolais devrait d’abord honorer et donc payer sa dette publique intérieure afin de soutenir les entreprises locales actives dans le domaine de la santé afin de leur faciliter les conditions de travail et leur permettre de continuer à rendre des services aux populations.
Par contre, la dette publique extérieure togolaise était bien en augmentation exponentielle bien avant la crise sanitaire. La question de l’efficacité de l’utilisation par l’Etat de crédits internationaux en matière d’amélioration de la santé est posée. Un bilan exhaustif doit être fait.
La réduction de la dette est donc une évidence. Mais le niveau d’allégement réel dépendra du niveau de dépendance et d’approbation des conditionnalités que les dirigeants africains accepteront de souscrire, Car, personne ne doit être dupe de la réal politik, à savoir : les discussions en cours sur l’annulation ou le report de la dette contre des tests grandeurs natures de tests cliniques (et donc mortels) contre le COVID-19 ou maladies émergentes. En toute humilité, il est peut-être conseillé aux dirigeants togolais d’être transparent sur la contrepartie acceptée pour reporter la dette publique extérieur togolaise.
Je vous remercie.YEA
Emission Radio KANAL K – AVULETE du Samedi 18 avril 2020.
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