Interview : BBC.
Journaliste : Caroline LOYER.
Invité : Dr. Yves Ekoué AMAÏZO, économiste, depuis Vienne en Autriche.
Date : Journal Direct. 08 octobre 2020. 18h30 (17h30 Heure de Londres)
Voir : https://www.bbc.com/afrique
- BBC : La Banque mondiale estime qu’il y a un danger d’une décennie de progrès économique perdu du fait de la pandémie du coronavirus COVID-19. Est-ce que vous partagez ce point de vue ?
Non, pas du tout.
La récession économique de -3,3 % du PIB en Afrique subsaharienne n’a rien d’alarmant en comparaison avec la récession aux Etats-Unis et en Union européenne avec des contractions du PIB oscillant en moyenne entre -8% à -11 %. En Afrique, c’est un accident de parcours. L’Afrique a moins de morts du coronavirus et est donc plus résiliente que d’autres continents au Nord. Le progrès économique sera au rendez-vous car l’Afrique a compris qu’il faut entrer dans l’économie digitalisée. Le Kenya et le Rwanda l’ont compris.
L’Afrique subsaharienne demeure malgré tout un soutien de la croissance mondiale, ce qui n’est plus le cas de l’Europe et des Etats-Unis, surtout qu’un réajustement est prévu dès 2021 avec un PIB estimé autour de 3 %, une moyenne plus qu’honorable. L’Afrique subsaharienne est résiliente et le serait encore plus si les dirigeants africains s’engageaient réellement pour mettre fin à la corruption en affichant régulièrement les corrupteurs.
- BBC : Est-ce que les gouvernements africains ont paniqué et n’ont pas fait suffisamment pour protéger leurs économies ? Quels sont les impacts économiques ?
Les gouvernements africains comme tous les gouvernements du monde n’étaient pas préparés et disposaient d’une infrastructure sanitaire bien en deçà de ceux du monde industrialisé. La panique était chez ceux qui oublié de faire preuve de souveraineté dans leur décision en préférant s’aligner sur les choix occidentaux. Mais, c’est surtout l’Organisation mondiale de la Santé et ses principaux financiers privés qui ont paniqué et a fait croire à une hécatombe de morts en Afrique, ce qui s’est révélé être au mieux une erreur, au pire, un alignement sur les lobbies qui voulaient passer par l’OMS pour expérimenter des vaccins tous terrains.
Les impacts économiques sont multiples.
Les effets de la pandémie ont eu pour effet une contraction importante de l’activité économique, notamment au cours des 6 premiers mois de 2020 avec une brèche dans la sécurité alimentaire pouvant renforcer les risques sociaux, politiques, environnementaux et surtout la paix dont les causes se trouvent plus dans la mauvaise gouvernance économique et le refus de rendre des comptes aux populations des gestions passées.
La réalité est un continent de plus en plus instable avec une augmentation exponentielle du chômage, une perte de pouvoir d’achat et des revenus, une pénurie dans l’approvisionnement des produits importés.
Les raisons sont multiples : stagnation des voyages et des échanges, ruptures dans les chaines mondiaux de production et d’approvisionnement, effondrement de nombreux prix de matières premières non transformées africaines (pétrole, métaux, produits agricoles), le recul net des investissements, une sortie des capitaux doublée parfois d’évasions fiscales, une baisse significative des transferts d’argent provenant de la Diaspora africaine, l’augmentation des taux d’intérêts et la difficulté d’accès au crédit, etc.
Les pays les plus impactés comme l’Afrique du Sud sont aussi ceux qui ont versé dans le mimétisme occidental en imposant un confinement unilatéral sans consultation des populations alors que leurs économies étaient très intégrées et très dépendantes des chaines de valeurs globales.
Les pays comme le Bénin, compte parmi les pays les moins impactés (toute proportion gardée) du fait du courage de son Président qui a refusé le confinement et à préférer mettre l’accent sur les mesures barrières et la prévention des populations à partir de la pharmacopée africaine qui offrent d’importantes possibilités de renforcement des immunités naturelles du corps humain à neutraliser la montée en puissance du coronavirus. Il faudra toutefois investir dans les technologies de décontamination et désinfections dans les espaces clos, car on sait maintenant que c’est dans les espaces clos que prolifèrent la COVID-19, d’ailleurs en mutation.
- BBC : Certains pays africains s’en sortent mieux car ils ont misé sur le secteur agricole. Donc, la solution est dans la promotion du secteur agricole ?
Oui et non.
Oui parce que plus de 60 % de la population africaine vit en zone rurale et qu’en améliorant la productivité agricole par des politiques fiscales intelligentes, les gouvernants assurent une forme de sécurité alimentaire.
Non, parce que l’économie est intégrée et on ne soit de faire une fixation sur le secteur agricole mais sur l’économie de proximité où les secteurs primaire, secondaire et tertiaire sont interdépendants. En effet, si les dirigeants africains ne comprennent pas qu’aujourd’hui, il est possible d’avoir de la transformation industrielle directement sur les lieux de production agricole, alors une grave erreur stratégique se profile à l’horizon. De plus, la part du secteur industriel sans les mines constitue moins de 10 % la valeur ajoutée africaine totale. Or, c’est ce secteur qui devrait produire localement le plus d’emplois décents, ce qui devrait servir d’effets de levier pour les secteur primaire et tertiaire, autres grands consommateurs de main d’œuvre africaine. Malheureusement, le secteur agricole doit aussi subir la concurrence des produits importés. C’est donc les produits transformés « made in Africa » qu’il faut produire et promouvoir.
- BBC : Quelles sont pour vous les principaux axes d’une politique régionale ou continentale en Afrique ?
Les politiques régionales en Afrique subsaharienne doivent comporter au moins quatre axes :
- la mise en place d’une enveloppe budgétaire destinée exclusivement à soutenir la reprise économique sans servir de levier à la corruption ;
- le recensement non partisan des victimes de la crise sanitaire de la COVID-19 avec une priorité à la sauvegarde décentralisée de la santé publique ;
- le soutien aux personnes et aux entreprises créatrices de richesses et d’emplois qui sont directement touchées par la crise ;
- une refonte fiscale pour relancer une économie circulaire et de proximité, ce dans le cadre d’une transition vers une économie décarbonée.
Merci.
08 octobre 2020.
Dr. Yves Ekoué AMAÏZO.
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