Déclaration liminaire des Organisations de défense des droits de l’homme (LTDH & ASVITTO), relative aux bavures policières pendant le couvre-feu et à la tuerie d’un officier supérieur de l’armée togolaise.
Le monde entier est secoué depuis déjà plus de 5 mois par une maladie mortelle et contagieuse dénommée le COVID-19. Les conséquences sanitaires, économiques, financières, sociales, politiques et stratégiques sont énormes pour le monde entier en général et pour le continent africain en particulier. Ainsi, plusieurs gouvernements ont instauré des mesures de prévention allant du plan sanitaire au plan sécuritaire.
Le 02 avril 2020, le gouvernement du Togo a instauré à travers un communiqué, un couvre- feu dans le grand Lomé et plus tard dans la ville de Sokodé. Tout au long de la mise en œuvre des opérations du couvre-feu, les organisations de défense des droits de l’homme constatent de nombreuses bavures policières amenant à s’interroger sur la finalité de cette mesure qui viole tant les droits humains.
Nous avons noté plusieurs bavures que nous condamnons avec vigueur :
- les bastonnades : plusieurs personnes ont été victimes de bastonnades de la part des éléments chargés du couvre-feu. Ces exactions sont survenues à Dévikémé, à Aflao Sagbado, Aflao Djidjolé, Aflao Avedji, Bé, Adakpamé, Atiegou, et à Parmi les personnes bastonnées, on enregistre une vieille dame de plus de 60 ans à Devikéme ; un jeune homme revenant de service dans sa voiture fut pourchassé par des éléments de la force COVID-19 et son véhicule s’est retrouvé dans un fossé lui occasionnant un traumatisme grave du thorax. Certaines victimes des bastonnades affirment avoir été l’objet de ces barbaries même à la devanture de leur maison.
- Les décès pendant la période du couvre-feu sont advenus dans des conditions obscures, inhumaines et Les forces de sécurité sont-elles vraiment des forces de protection des citoyens ou des forces d’une cruauté indescriptible ?
- En effet, la toute première victime, le sieur GUELI Kodjossé est mort le 11 avril 2020 à Avedji avec des testicules écrasés selon la Le ministre de la sécurité a affirmé qu’il est mort d’épilepsie alors que la famille dit qu’il n’a jamais eu d’antécédent médical évocateur d’épilepsie.
- Un jeune a été retrouvé mort le 20 avril 2020 au niveau du 4ème lac dans le quartier Des témoignages attestent qu’il avait des traces suspectes sur son corps.
- Un autre homme a été retrouvé mort le 21 avril 2020 sur les pavés du Boulevard Felix Houphouet Boigny à Gbényédji aux heures du couvre-feu.
- La dernière victime en date est le sieur KOUTOUATSI Dodji décédé des suites de bastonnades le 22 avril 2020 à Adakpamé alors qu’il était sorti pour ses besoins Des témoins attestent avoir entendu le vrombissement d’un véhicule suivi de cris de détresse de la victime quelques instants après qui disait : « laissez-moi, qu’est-ce que je vous ai fait, vous allez me tuer ? ».
- Le 23 avril 2020 aux environs de 15h00, alors que les jeunes du quartier, où le sieur Dodji était tué manifestaient leur mécontentement, des militaires dans un pick-up ont lancé des gaz lacrymogènes à bout portant au visage d’un jeune qui se trouve actuellement au CHU SO pour des soins spécialisés.
Pourquoi tant de violence gratuite et sans raison ? Pourquoi une telle cruauté dans un pays qui n’est pas en guerre ? Pourquoi ce mépris répété des forces de l’ordre qui font régner la terreur comme si elles sont au-dessus de toutes les lois ?
Tous ces actes constituent de graves violations des droits de l’homme perpétrées par les forces chargées de la sécurité et de la protection des citoyens. Cette situation grave interpelle toutes les Organisations de défense des droits de l’homme ainsi que les organisations de la société civile.
Un autre fait tout aussi grave est l’arrestation dans la matinée du 21 avril 2020 de deux défenseurs des droits humains et d’un journaliste qui effectuaient une mission d’observation de l’intervention des forces de l’ordre au domicile de M. AGBEYOME Kodjo. Ils portaient tous des gilets de service et avaient décliné leurs identités mais furent arrêtés sans raison et conduits dans les locaux du (Service central des renseignements et de l’investigation criminelle) SCRIC où ils furent gardés des heures durant et soumis à un interrogatoire.
Des témoignages concordants montrent que les personnes arrêtées durant cette interpellation ont été exposées pendant plus d’une heure debout sous le soleil.
Plusieurs autres actes tout aussi préoccupants et inacceptables ont été commis à l’endroit de journalistes violentés par des éléments des forces de sécurité.
Le lundi 04 mai 2020 les organisations de défense des droits de l’homme ont appris la mort du Lieutenant-colonel Madjoulba Bitala, chef corps du 1er Bataillon d’Intervention Rapide (BIR) des Forces Armées Togolaises (FAT), dont le corps a été retrouvé sans vie dans son bureau.
Les Organisations de défense des droits de l’homme condamnent ce nième assassinat qui vient allonger la liste de ceux déjà perpétrés dans notre pays et sur lesquels aucune lumière n’a été faite jusqu’à ce jour pour situer l’opinion publique. On dit toujours qu’une enquête est ouverte mais non seulement elle n’est jamais fermée mais plus encore les résultats ne sont jamais connus. Pourquoi ? A qui profitent ces assassinats, ces crimes odieux ? « Une enquête est ouverte » serait-elle devenue une formule stéréotypée pour tromper la vigilance des citoyens ?
Dans un contexte de crise politique exacerbée, couplé d’une crise sanitaire avec un état d’urgence et un couvre-feu qui servent d’alibi à de graves violations des droits de l’homme, où les forces de défense pourchassent, arrêtent, passent à tabac, mutilent et frappent à mort leurs concitoyens, un tel acte vient accroître la psychose et la terreur.
Les Organisations de défense des droits de l’homme rappellent une fois encore les dispositions de l’article 13 de la Constitution togolaise du 14 octobre 1992 selon lesquelles :
« L’État a l’obligation de garantir l’intégrité physique et mentale, la vie et la sécurité de toute personne vivant sur le territoire national. Nul ne peut être arbitrairement privé ni de sa liberté ni de sa vie ».
Les Organisations de défense des droits de l’homme présentent leurs condoléances aux familles éplorées et souhaitent un prompt rétablissement aux personnes blessées.
Elles encouragent les familles à porter plainte devant les juridictions compétentes pour que toute la lumière soit faite sur tous les cas de décès.
Ce crime odieux au-delà de la grande tristesse manifeste dans les rangs des militaires et de toute l’opinion continue de traîner une vague d’interrogation, d’inquiétude et de stupeur.
Les ODDH qui s’étonnent du curieux silence du ministère de la défense et du gouvernement depuis lundi viennent inviter les autorités gouvernementales à constater la portée du crime qui entache dangereusement l’unité nationale, en vue de mettre les moyens matériels et outils nécessaires pour identifier les auteurs et les punir conformément à la loi. A cet effet, elles prennent note des informations relatives à la découverte d’une balle dans le corps après autopsie, et elles demandent que les analyses balistiques soient effectuées sur cet outil du crime afin de retrouver l’utilisateur de l’arme utilisée pour la manifestation de la vérité.
Au demeurant elles s’étonnent de l’intervention de la présidente de la CNDH qui tente de décourager les dénonciations des ONG pour protéger les auteurs des violences sur les populations civiles.
Elles exigent des autorités des enquêtes indépendantes et impartiales pour que la lumière soit faite sur tous ces assassinats de citoyens. L’impunité ne peut pas toujours continuer à être érigée en règle de gouvernance dans un état de droit que nous souhaitons de tous nos vœux. En conséquence, elles exigent que des sanctions exemplaires soient appliquées aux auteurs, commanditaires et complices de tous ces actes ignobles qui visent à semer la terreur dans notre pays.
Les Organisations de défense des droits de l’homme apportent tout leur soutien et disponibilité aux familles qui auront besoin de leur accompagnement dans la conduite de toutes les diligences. Elles se réservent le droit de recourir à des manifestations dans les prochains jours afin d’exiger que justice soit rendue dans le cadre de toutes ces bavures.
Fait à Lomé, le 7 mai 2020
Pour la LTDH Le Président,
Me AGBOGAN Célestin
Pour ASVITTO
Le Président KAO-ATCHOLI M.