En principe à la fin du mois d’août 2020 et sauf imprévus, le Groupe de la Banque africaine de développement dit (BAD) aura un nouveau président, vraisemblablement la reconduction de l’actuel Président, le nigérian, Akinwumi Adenisa 1, seul candidat en lice.
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1. LE LEADERSHIP AFRICAIN ET DIVIDENDE DÉMOCRATIQUE :
Avec une population de 1,2 milliard d’habitants qui devrait passer à 2,5 milliards d’ici 2050, l’Afrique va s’éloigner de ceux qui la maintiennent dans les relations postcoloniales digitalisées pour compter à sa façon dans le concert des nations. Sa classe moyenne, son urbanisation rapide, ses ressources humaines notamment celles de la Diaspora devraient représenter près de 45 % de la population totale d’ici 2030. L’Afrique est donc bien le continent de l’avenir. C’est aussi le continent de toutes les opportunités, mais aussi de tous les risques et dangers si en priorité la bonne gouvernance, l’innovation, la création de valeurs et de richesses inclusives au service des populations africaines ne suivent pas.
Le dividende démographique doit ses décliner sur la base de cette vision. A défaut, c’est une Afrique saucissonnée, vendue en parcelles du fait de la voracité, la férocité, l’agressivité tant des « vautours » étrangers que ceux internes à l’Afrique elle-même. La Banque africaine de développement fait partie des principales institutions africaines qui vont influencer et structurer ce futur en bien ou en mal pour les populations africaines. Il est donc plus que crucial que l’Afrique garde le contrôle effectif et non honorifique de cette institution de financement.
Sur un autre plan, l’Afrique avait une croissance économique au-dessus de la moyenne mondiale avant le COVID-19, soit des estimations autour de 3,4% en 2019 à 3,9% en 2020 et 4,1% en 2021 selon les statistiques de la BAD. La réalité est qu’avec le COVID-19, cette croissance sera ralentie avec des nouvelles estimations oscillant entre une croissance négative (-2 %) à une croissance faible (entre 0 et 1 %), surtout que les causes endémiques que sont la corruption, l’inefficacité administrative, et le refus de rendre des comptes aux populations ne font pas l’objet d’améliorations notables. De plus, le terrorisme sur le sol africain et les démocraties ne reflétant pas toujours la volonté du peuple africain sans compter ceux qui divisent les Africains pour mieux exploiter le continent ne dorment pas, sont des facteurs structurant les comportements en Afrique. La culture de la facilité et le recours à la magie ne sont souvent pas créateurs de richesses pérennes, encore moins d’emplois décents.
En 2020, plus de 20 millions d’Africains sont sans emploi. Il faut ajouter au moins le même nombre qui vit avec des emplois précaires. Entre 42 et 52 % de la population vit toujours en dessous du seuil de pauvreté, soit de 1,25 dollar par jour et près d’une personne sur quatre, reste sous-alimentée en Afrique subsaharienne. Les inégalités sont croissantes avec des conséquences dramatiques de plus en plus grande sur les femmes et les jeunes. Pour avoir « oublié » de donner la priorité à l’industrialisation, l’Afrique est le continent qui émet le moins de carbone et demeure l’un des continents les plus vulnérables aux changements climatiques.
Aussi, ceux qui se réjouissent de la croissance africaine -avant l’arrivée imprévue du coronavirus COVID-19-, doivent réviser leur position. Sans une croissance inclusive où chaque africain doit pouvoir être fier de contribuer à faire avancer le continent en termes de création de valeurs et de richesses à partager en référence aux valeurs africaines précoloniales, il faudra intégrer la digitalisation et les infrastructures adéquats pour que des emplois de transformation des matières premières africaines soient créer par le secteur privé tout en édictant des normes pour protéger les personnes vulnérables. Aussi, l’Afrique de 2020-2030 ne peut faire l’économie de la transition écologique. La croissance verte -et non la décroissance verte- devra être fondée sur une économie circulaire et de proximité avec une priorité aux énergies renouvelables et propres, une agriculture réactive aux changements climatiques et une gestion durable des ressources en eau.
Aussi, toute personne qui place l’Afrique et sa population au centre ou comme une priorité vers une Afrique interdépendante et fédérale est régulièrement mise en accusation par le monde de ceux qui oublient systématiquement le nombre incalculable d’agressions commises contre l’Afrique et les Africains, ce au travers de l’histoire, dans l’espace et dans le temps. Le Président de la Banque africaine de développement, Akinwumi Adenisa, n’y échappera pas.
Au-delà de ce constat, ce noble objectif ne peut être atteint sans un respect permanent des règles d’éthique, un ensemble des conceptions spirituelles et morales fondées sur les valeurs africaines non polluées par l’agression coloniale et la négation culturelle des contributions africaines au monde et qui devraient dicter les jugements et les actes de chaque Africaine et Africain. Un président de la BAD ne peut y échapper. Ce n’est donc pas une commission indépendante et éthique qui pourra résoudre ce problème.
2. A QUOI SERT LA BAD AU-DELA DU FINANCEMENT : ENTRE AFROCENTRICITÉ ET AUTOCRATIE
La vraie question est de savoir si la BAD fonctionne sur une base afrocentrique aux bénéfices effectifs des populations africaines. La réponse reste ouverte ! Entre les populations et la BAD, il y a les décideurs politiques qui ont trop souvent d’autres agendas, divergents de ceux du bien-être des populations africaines. Ces dirigeants représentent souvent leurs propres intérêts aux dépens de celles des populations, surtout que la vérité des urnes n’est pas souvent au rendez-vous au cours des élections en Afrique, déclenchant d’ailleurs des crises multidimensionnelles qui retardent le continent.
La BAD contribue-t-elle indirectement à l’autodétermination des citoyens africains individuellement et collectivement, ce sur une la base d’une conception africaine du panafricanisme ? La question reste ouverte ! A force de se réjouir d’avoir réussi à augmenter son capital en oubliant d’expliquer si l’Afrique n’y perd pas sa souveraineté, la BAD peut-elle servir de levier à l’autonomie politique et économique des Nations africaines, actuellement dominée par un eurocentrisme de moins en moins efficaces compte tenu des résultats obtenus sur le terrain qu’expriment de plus en plus les populations africaines, ce de manière décomplexée et sans haine ou vengeance ?
Il n’est nullement question de nier ou de minimiser les influences étrangères notamment européennes mais nul ne doit nier les valeurs, la culture et les principes de solidarité propres à l’Afrique non polluée par l’histoire coloniale et d’exploitation gratuite de la force de travail et le droit du sol du peuple africain, partout où il se trouve. Cette vision afrocentrique ne peut se limiter à une vision centrée sur l’Afrique mais doit reconsidérer et intégrer toutes actions par le prisme de la vérité, de la transparence, de la justice et de l’utilisation des valeurs éthiques et africaines face au poids des siècles de destruction, de pillage et de négation culturelle des Noirs.
Le choix du Président de la BAD ne peut en faire abstraction, sauf si la BAD devait évoluer vers un contrôle par les pays non-régionaux. Cette hypothèse n’est pas une abstraction si les financements octroyés par la BAD ne génèrent pas de la création de valeurs et de richesses inclusives. Si en plus, les dettes accumulées par les Etats africains finissent pas les priver de la majorité au sein du conseil d’administration de cette institution financière africaine, alors il serait bon d’entendre l’engagement du prochain Président de la BAD sur sa conception de la prise de décision afrocentrique.
C’est cette conception qui semble avoir été mise en cause par des lanceurs d’alerte, employés de la BAD, qui mettaient en cause le respect des valeurs éthiques africaines, et moins le respect des procédures internes de l’institution. Ces procédures internes, instituer justement pour ne pas condamner les décideurs en dernier ressort, finissent toujours par donner raison à celui qui, en définitive, paye le salaire de ceux qui sont censés faire des « investigations et audits » indépendants.
Autrement dit, s’il est vrai que l’éthique en général, celle reposant sur les valeurs africaines en particulier, doit être respectée. Le leadership africain demeure en général un leadership autoritaire, peu flexible et soumis à la loi de l’allégeance pour les subordonnés. Ceux qui ne l’ont pas compris s’exposent à démissionner, à l’instar de certains haut cadres de la BAD. Mais cette pratique doit être corrigée.
En référence aux valeurs africaines d’éthique et de justice, il faut espérer que le prochain président de la BAD, sur la base d’un rapport indépendant de contrôle de procédure interne, ne se considèrera pas comme déchargé ou absout du respect des valeurs africaines ancestrales, qui obligent d’ailleurs à rendre compte de ses actes à ceux qui en dernier ressort lui ont confié sa charge, c’est à la dire le Peuple africain et moins les membres du conseil d’administration. Neutraliser les valeurs afrocentriques au sein de la BAD, c’est tuer l’âme de l’Afrique. L’autocratie ne peut servir d’ersatz, ni de compenser les dégâts parmi les victimes. Car il y a eu des victimes des actes posées par la direction de la BAD.
3. RUMEURS, TENSIONS ET ENQUÊTES INDÉPENDANTES
Akinwumi Adesina a été élu 8e président de la Banque africaine de développement le 28 mai 2015 et a démarré ses fonctions le 1er septembre 2015 au siège de la BAD à Abidjan en Côte d’Ivoire. Il a succédé au Rwandais, Donald Kaberuka le 1er septembre 2015 à Abidjan. Cet ex-ministre nigérian de l’Agriculture et du Développement rural entre 2011 et 2015 a fait progresser la valeur ajoutée agricole dans son pays avec une contribution de près de 20 % de ce secteur au Produit intérieur brut du pays. C’est cette capacité à « nourrir » et de manière autonome les populations que les gouverneurs de la BAD souhaiteraient qu’il apporte à l’institution, ce dans tous les secteurs et pour l’ensemble de l’Afrique.
La vision originelle de Akinwumi Adenisa se retrouve dans son discours prononcé le 1er septembre 2015. Il fut question de promouvoir cinq domaines prioritaires dits les « High-5 », devenue la stratégie 2013-2023 de la BAD et cours d’exécution. Il s’agit principalement 1. d’éclairer et fournir de l’énergie à l’Afrique, 2. de nourrir l’Afrique ; 3 d’industrialiser l’Afrique ; 4. d’intégrer l’Afrique, et d’améliorer la qualité de vie des Africains. A quoi sert la BAD sous Adenisa ? A transformer l’Afrique sur la base de deux principaux objectifs, à savoir : la croissance inclusive et la transition vers une croissance verte. Ces objectifs sont mis en œuvre sur la base de cinq priorités opérationnelles qui se déclinent comme suit : développement des infrastructures, intégration économique régionale, développement du secteur privé, gouvernance et responsabilisation et qualifications et technologies avec au plan transversal, au moins trois domaines d’intérêt particulier qui sont : le genre, les États fragiles, l’agriculture et la sécurité alimentaire.
A la fin de son premier mandat et en référence au taux de croissance des pays africains avant la pandémie du COVID-19, le bilan est plutôt positif, d’où l’absence de candidatures pour lui succéder.
Sur la base de rumeurs et de tensions entre certains membres de la direction de plus en plus politique de la BAD, une première enquête indépendante interne à l’organisation a été menée avec comme argument, des allégations de mauvaise gouvernance et de corruption avec enrichissement personnel du Président de la BAD. Le résultat était négatif. Il s’agit de lanceurs d’alerte anonymes qui arguaient aussi que le Président favorisait ses compatriotes nigérians, certains considérés comme des corrompus ou des fraudeurs, lors des nominations à des postes importants de la BAD. Certains voyant le vent tourner se sont empressés de quitter le navire, non sans des indemnités substantielles et surtout sans qu’aucune sanction n’intervienne. Les rumeurs n’étaient donc pas nécessairement infondées, mais elles étaient impossibles à prouver.
Officiellement, le Président de la BAD a toujours rejeté l’ensemble des accusations.
Mais, sous la pression des Etats-Unis, deuxième contributeur de la BAD, une enquête indépendante a été exigée et obtenue. Rappelons qu’avec 6,5 % des actions de la BAD, ce pays non-régional, les Etats-Unis, se classe derrière le Nigeria avec 9,1 % (statistique de 2019). La tension entre certains pays occidentaux et les pays africains sont de plus en plus palpables au sommet de la BAD. Les présidents africains, notamment le Président Muhammadu Buhari, ainsi que plusieurs pays africains, n’ont pas attendu les résultats de la commission d’enquête pour soutenir leur « candidat africain ». Est-ce que dans un lointain avenir l’avenir ne risque pas d’être dirigé par un membre des pays non-régionaux ? La question reste ouverte en fonction du niveau de mauvaise gouvernance et de remboursement des dettes des pays africains eux-mêmes envers la BAD, notamment sur le guichet Fond africain de Développement.
A la lumière de ces considérations, un groupe d’experts indépendant, dirigé par l’ancienne présidente irlandaise Mary Robinson, mettait fin au précédent rapport interne de 15 pages qui a fait entre autres la liste, sans en apporter la preuve, des allégations des accusateurs contre Akinwumi Adesina. Selon les accusateurs « informels », la BAD aurait progressivement évoluer vers une « mauvaise gouvernance » avec un système de corruption, d’impunité, de favoritisme et d’enrichissement personnel et « violations du code de conduite ». Cette accusation émanait principalement de « lanceurs d’alertes », principalement des employés de l’institution avant d’être relayée par les Etats-Unis et certains de ses alliés. La vice-présidente « américaine » de la BAD a démissionné avec « fracas », mais sans conséquences notables sur l’évolution de la BAD. Le 1er juillet 2020, Steven Mnuchin, Secrétaire d’Etat au Trésor américain, a rappelé que les « institutions internationales doivent respecter les normes les plus élevées de gouvernance et de transparence » et rappelait que « la décision [de la BAD] de poursuivre un examen indépendant démontre la force de la BAD 2 » …
4. ACCUSATION CONTRE ADENISA INFONDÉE
La commission d’experts indépendant était composée de trois experts : Mme Mary Robinson (irlandaise) et président de la Commission, M. Hassan Jallow (Gambien, Juge en Chef de la Gambie) et Léonard McCarthy (Britannique), Vice-président de l’intégrité en poste à la Banque mondiale. Tous trois ont examinés et rejetés les 16 allégations contenues dans un rapport final de 31 pages transmis à la BAD le 27 juillet 2020.
Les lanceurs d’alerte refusant de fournir les sources de leurs allégations n’ont donc pas de preuves, ni d’ailleurs le Comité d’éthique interne de la BAD. Selon la Commission d’experts, il n’y a pas eu de vices de forme ou de procédure du comité d’éthique de la BAD qui avait d’ailleurs déjà conclu sur un rejet des accusations à l’encontre du Président de la BAD.
Entre avril 2020 et fin juillet 2020, ces allégations ont entraîné des tensions politiques entre les autorités américaines et le gouvernement nigérian. Le Président Muhammadu Buhari avait publiquement fait part de son soutien à Akinwumi Adesina. La commission d’experts a indiqué dans son rapport que les accusations sont « sans fondement », trop « générales », avec peu de « précisions et ne sont pas étayées par des preuves », et ne reposaient sur « aucun fait objectif et solide ». La décision du panel d’experts indépendants est sans appel : les allégations/accusations doivent être « rejetées », car ne reposant sur aucune « crédibilité ». Aussi, le Président africain et noire de peau de la BAD n’a pas été « blanchi » mais a été lavé de tous soupçons par manque de preuves.
5. BILAN D’ADENISA : UNE GESTION PRUDENTE ET EN PROGRESSION DE LA BAD
A un mois de l’élection du nouveau président de la BAD, Akinwumi Adesina, seul candidat, est assuré, sauf accident, de se succéder à lui-même pour un nouveau mandat. L’argument du Président repose sur l’augmentation de capital autorisé de la BAD qui est passée de 69,47 milliards à 153,19 milliards d’UC (96,07 milliards à 211,84 milliards d’USD ou en 2019). Il s’agit de la plus importante augmentation de capital autorisé dans l’histoire de cette institution depuis sa création en 1964. Il y a là une preuve de la confiance des actionnaires au Président de la BAD. Toutefois, le capital souscrit n’est que de 66.146,32 millions d’UC et le capital appelable de 60.195,88 millions d’UC 3.
Néanmoins, Akinwumi Adenisa gagnerait à introduire plus de transparence dans les décisions concernant le capital humain de la BAD qui a permis de conserver en juillet 2020 la note la plus élevée des agences de notation de AAA (triple A), note réservée aux institutions les plus performantes en termes de résultat. Selon le rapport annuel 2019 du Groupe de la BAD, les quatre principales agences de notation internationales, à savoir Standard & Poor’s, Fitch, Moody’s et Japan Credit Rating Agency, ont confirmé leur notation de la dette privilégiée (AAA/Aaa) et de la dette subordonnée (AA+/Aa1) de la Banque avec perspective stable. La solidité financière de la Banque ne peut être mise en cause. Aussi, cela va au crédit du Président de la BAD.
Toutefois, cette notation ne prend pas en compte la gestion des ressources humaines de la BAD, encore moins les considérations éthiques sur la gouvernance du 1er responsable de la BAD. La gestion autocratique des dirigeants africains notamment dans les gouvernements et dans les administrations ne peuvent pas être exportée vers une institution de plus en plus internationale qu’est devenue la BAD. Le total des engagements de la BAD en 2019 s’élevait à 7 300,11 millions d’UC (soit 8.968,19 millions d’Euro).
Distribuées selon les 5 priorités High 5, les approbations du Groupe de la Banque mondiale sont à classer comme suit (voir tableau ci-dessous).
APPROBATIONS DU GROUPE DE LA BANQUE PAR HIGH 5 POUR 2019
(En millions d’UC avec 1 UC = 1.2285 Euro au 29 juillet 2020) |
||
Les 5 priorités de la BAD dit les High 5 | Approbations High 5 en 2019
En millions d’UC |
|
1er | Éclairer l’Afrique et l’alimenter en énergie | 1.716,78 |
2e | Améliorer la qualité de vie des populations africaines | 1.667,85 |
3e | Intégrer l’Afrique | 1.536,32 |
4e | Industrialiser l’Afrique | 1494, 42 |
5e | Nourrir l’Afrique | 884,74 |
Source : BAD (2019). Rapport annuel 2019. BAD : Abidjan p. 69. |
Les revenus de deux des trois guichets de prêt du Groupe à savoir la Banque africaine de développement (BAD) et le Fonds Spécial du Nigeria (FSN) ont enregistré une augmentation entre 2018 et 2019. Le revenu net du guichet BAD entre 2018 et 2019 a connu une progression passant de 41,7 à 52,2 en millions d’Unité de compte (UC), une monnaie de compte de la BAD dit XUA (1 UC = 1,2285 Euro au 29 juillet 2020 4).
Le guichet Fond Spécial du Nigeria a aussi enregistré une légère progression entre 2018 et 2019, passant respectivement de 2,4 à 2,6 millions d’UC de revenus nets de l’exercice.
Par contre, le guichet majoritairement utilisé par les pays africains classés par la Banque mondiale parmi les pays à revenu faible est structurellement déficitaire. Ce déficit s’est accentué passant de -74,1 millions d’UC (-91,03 millions d’Euro) en 2018 à -86,9 millions d’UC (-106,75 millions d’Euro) en 2019. Il y a donc une difficulté pour les pays africains emprunteurs de créer de la richesse à partir des prêts obtenus et surtout de les rembourser dans les temps impartis.
Souvent la seule solution pour les pays africains endettés après quelques rééchelonnements, est de céder une portion de leur capital pour solder des « dettes irrécouvrables » devenus de facto « des dettes perpétuelles ». A ce petit jeu, il n’est pas très difficile de comprendre que les guichets BAD et FAD sont des guichets où la décision appartient à ceux qui apparaissent comme des créanciers au point de décider de ce qui est bon ou pas en termes de financement pour les pays africains.
Au total, la BAD a retrouvé une certaine crédibilité financière mais reste fragile. Les résultats de la BAD pour la période post-COVID-19 risque de dégrader encore plus le résultat net total. L’évolution financière entre 2015 et 2019 témoigne d’une gestion prudente mais efficace du Président de la BAD. La performance financière est donc bien au rendez-vous (voir graphique ci-dessous).
6. QU’EST-CE QUI SE JOUE AU PLAN STRATÉGIQUE À LA BAD SUR FOND D’ENQUÊTE INDÉPENDANTE ?
Avec des rumeurs, le droit et l’absence de faits matériels été de preuves ne peuvent que conduire à un rejet des accusations portées contre le Président de la BAD. Ce qui ne veut pas dire qu’elles sont infondées.
Aussi, c’est sur le terrain politique et stratégique qu’il convient d’aller chercher l’explication de tout ce remue-ménage. Les Etats-Unis à l’origine de l’approfondissement de l’investigation ont dû accepter le verdict de la Commission d’experts indépendants. Mais en contrepartie de quoi ? Nul ne saurait jamais !
Mais est-ce qu’il n’y a pas eu de négociation en coulisse ? Vraisemblablement que oui ! La politique des Etats-Unis vis-à-vis de l’Afrique reste une énigme sauf en matière de sécurité et d’accès aux matières premières et quelques coups d’éclats en matière de dénonciation des abus de droits humains commis par les autocrates africains, mais aussi par les Européens en Afrique.
Pour ce qui est de la BAD, les Etats-Unis ont dû confondre le niveau de leur influence au sein des institutions de Bretton Woods (Groupe de la Banque mondiale et du Fond monétaire internationale) où ils dominent et font ou défont les décisions, avec leur poids effectif au sein de la BAD. Dans une moindre mesure et disposant de la plus importante contribution financière au sein de l’Organisation mondiale du Commerce (OMC) et de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), les Etats-Unis ont réussi à avoir la tête du 1er responsable de l’OMC (démission avant la fin du mandat) et s’apprête à contribuer à changer celui de l’OMS (ne devrait pas se représenter pour un second mandat). Mais la BAD est différente, c’est une institution africaine où le réflexe anti-ingérence reste vivace.
Avec 54 pays africains et 26 non-africains au conseil d’administration de la BAD, on pourrait croire que c’est l’Afrique qui domine. Pourtant, la réalité est tout autre, surtout avec la propension des dirigeants africains à croire que le seul fait d’augmenter le capital de la BAD suffit à assurer un avenir « radieux » à l’Afrique.
Au sein de l’institution, il y a trois principaux « guichets », la BAD avec des taux d’intérêt proches du marché, le Fond africain de Développement (FAD) avec des taux d’intérêt concessionnels, et le Fond spécial pour le Nigéria qui comme son nom l’indique tend à devenir un système d’autofinancement du Nigeria par un effet de levier que constituent les apporteurs de capitaux via la BAD. Quasiment tous les projets importants sont octroyés avec la garantie de l’Etat récipiendaire du prêt. Il suffit d’analyser l’affectation des contrats attribués par la BAD pour s’apercevoir que l’essentiel des fonds affectés sur les contrats va aux 26 pays non-Africains. L’Afrique se retrouve marginalisé dans l’accès des marchés, mais parfois aussi dans le choix des projets qui dépendent fortement des conditions d’affectation et d’utilisation prescrites par les apporteurs de capitaux.
L’avenir de la BAD passera par une séparation des activités destinées à soutenir le secteur privé africain, notamment sans avoir recours à la garantie de l’Etat comme c’est le cas actuellement pour la plupart des projets de cette institution. Au fond, il s’agit d’une institution qui prend le minimum de risques, et le repoussent en fait sur les Etats africains. Ceux qui ont une gouvernance économique efficiente utilisent la BAD comme un effet de levier. Les Etats non-régionaux y voient un formidable moyen de faire transiter leur « argent-investissement » sans risques de corruption endémique. Aussi, l’avenir de la BAD est lié aux pays africains qui ont une mauvaise gouvernance. Ce sont en définitive ces derniers qui contribuent à faire perdre à la BAD sa souveraineté africaine. Paradoxalement, de nombreux dirigeants qui se bousculent pour des rééchelonnements n’en prennent pas bien conscience.
La voie de passage pour un développement accéléré et inclusif demeure l’efficience dans l’utilisation des prêts décaissés et la capacité de ces prêts à générer de la richesse en Afrique, avec des Africains et pour les Africains. Sur ce plan, il y a encore du progrès à faire ! YEA.
Dr. Yves Ekoué AMAÏZO
1er août 2020
© Afrocentricity Think Tank
Notes:
- Deutsche Welle (2020).“ADENISA « Blanchi » à la BAD ». In Deutsche-Welle. 28 juillet 2020. Accédé le 29 juillet 2020. Voir https://m.dw.com/fr/n%C3%A9potisme-%C3%A0-la-bad-akinwumi-adesina-blanchi/a-54357090 ↩
- Yao, O. (2020). “Affaire Adesina : Le gouvernement américain salue la décision de la BAD de confier l’enquête à une équipe indépendante ». In Sikafinance.com. 3 juillet 2020. Accédé le 28 juillet 2020. Voir https://www.sikafinance.com/marches/affaire-adesina-le-gouvernement-americain-salue-la-decision-de-la-bad-de-confier-lenquete-a-une-equipe-independante_23107 ↩
- Groupe de la Banque africaine de Développement (2019). Rapport annuel 2019. BAD : Abidjan, p. 68. ↩
- Groupe de la Banque africaine de Développement (2019). Op. cit. p. 62. ↩