« L’alternance permet la respiration. Elle est aussi le meilleur moyen de permettre l’inclusion dans la vie politique et de lutter contre la corruption, qui est le pendant d’une conservation trop longue du pouvoir. Ce ne sont pas des leçons, c’est du bon sens »
Emmanuel Macron, interview accordée à “Jeune Afrique” du 20 novembre 2020
PROLOGUE
Le 06 janvier courant, en début de soirée, sur les ondes de Radio France Internationale (RFI), j’écoute une interview relative à un fascicule émanant de l’ancien ambassadeur français Pierre Jacquemot. Fascicule intitulé “ De l’élection à la démocratie en Afrique (1960-2020). Éditions Fondation Jean Jaurès, Paris, 2020. J’ai immédiatement décidé de m’en procurer un exemplaire. Ce que je n’aurai pas trop tardé à réaliser. Et je souhaite saisir cette occasion pour livrer, à la Jeunesse africaine en général et togolaise en particulier, quelques commentaires personnels y afférents. Voilà l’origine et la raison d’être du présent griffon. Entrons donc dans le vif de notre sujet.
1. EN QUOI CONSISTE LE BLOCAGE ICI EN CAUSE ?
De nos jours, l’Humanité semble parvenue à un stade où elle n’entend plus être régentée par des monarques égocentriques, tyranniques ; par des autocrates à vie, des dictateurs assoiffés de pouvoir. De nos jours, l’Humanité semble vouloir être gérée par des « gouvernements de peuples, par des peuples, pour des peuples » (Abraham Lincoln). [Cf. mon article “Brève digression à propos de la pratique de la démocratie“, 06 novembre 2020.] C’est bel et bien ce que nous démontrent les récentes révolutions arabes plus ou moins réussies, le Mouvement des gilets jaunes en France, la bousculade actuelle de la monarchie en Thaïlande…, les nombreux remue-ménage auxquels nous assistons un peu partout sur le Continent africain où ils secouent le cocotier… À titre d’exemple, je mentionnerais mon propre pays le Togo qui, en 2017 et 2018, aura sérieusement (!) ébranlé le régime éculé de Faure Essozimna Gnassingé, réclamant, à cor et à cri, notre Constitution plébiscitée quasiment à 100 % le 27 septembre 1992. Laquelle Constitution interdit formellement (!) un troisième mandat présidentiel s’agissant d’un seul et même individu !!!
Voilà la raison pour laquelle les monarchies anachroniques, périmées, résiduelles, qui végètent encore sur notre Planète reviennent à des « rois » ou « reines » qui, de facto, règnent mais ne gouvernent pas.
Or, sur le Continent africain, des roitelets post-et-néocoloniaux s’acharnent à inventer des mécanismes frauduleux, pluridimensionnels. Pour se cramponner mordicus aux rênes du pouvoir politique.
Le politologue français Vincent Hugeux résume tout cela à merveille à la 4ème page de couverture de son opuscule titré : “Afrique : le mirage démocratique.” (CNRS ÉDITIONS, Paris, 2012). De la façon suivante : “Les caïmans du marigot ont appris à manier le lexique du pluralisme, de la transparence et de la « bonne gouvernance »… pour mieux s’affranchir de ses effets”.
Ce qui bloque la démocratisation de notre Alma-mater : l’Afrique. Ce qui empêche l’avènement du Développement humain viable et durable sur notre Continent 1.
Abordons maintenant la deuxième partie de notre thème.
2. POURQUOI LA DÉNONCIATION EN QUESTION ET COMMENT SE DÉCLINE-T-ELLE ?
Nul être humain ne naît congénitalement diabolique. Tout être humain devient ce que son histoire existentielle personnelle et sociale objective en fait. Sinon nous n’aurions pas eu un John Brown (1800-1859) qui donna sa VIE pour l’abolition de la traite et de l’esclavage négriers. À cet égard, et à juste titre, Karl Marx peut tranquillement écrire : « S’il est vrai que ce sont les circonstances qui forment l’homme, il faut former humainement les circonstances ». Alors, on trouvera toujours, parmi les Occidentaux, des individus qui se pencheront sur les misères de leurs semblables de cieux autres que le leur propre. Des individus qui auront leur conscience partagée entre leur bien-être et les tribulations de leurs frères et sœurs de lointaines contrées. C’est pourquoi, et en dépit du fait que « Les États n’ont pas d’amis mais uniquement des intérêts à défendre » [Benjamin Disraeli (Premier Ministre de la Reine Victoria) et le général Charles de Gaulle], des Occidentaux arrivent quand même à se pencher sur le sort de nous autres pauvres Africains.
Mais observons tout d’abord que les dénonciateurs en considération se classent, grosso modo, en deux catégories. Primo, des intellectuels humanistes tels qu’André Gide, Jean-Paul Sartre, Albert Memmi, Albert Camus, Jean Ziegler, François-Xavier Verschave, Vincent Hugeux, Jacques Attali, etc, etc, dont la dénonciation est nette, claire comme la lumière du jour. Plus qu’une simple dénonciation, c’est une véritable condamnation ! Secundo, des « responsables » politiques tels que François Mitterrand et Emmanuel Macron, dont la « dénonciation » mérite d’être placée entre guillemets, tant elle se décline en mi-figue, mi-raisin. Tant ces « responsables » se voient obligés de prendre en compte la « Realpolitik »…
Ainsi, François Mitterrand, par son fameux discours de La Baule en date du 19 juin 1990, conditionne l’Aide de la France au développement par la Démocratisation en Afrique… Toutefois, lorsque, sa Primature de transition attaquée dans les premiers jours de décembre 1991, par Gnassingbé Eyadéma, à coups d’armes modernes de guerre, le Premier Ministre Joseph Kokou Koffigoh fait appel à l’ex-métropole du Togo, en vertu des Accords de défense qui prévalaient entre les deux pays, le Président français envoie une troupe, mais avec consigne de se terrer quelque part dans les environs de Ouidah en République du Bénin… À ce propos, n’oublions pas que François Mitterrand en 1957, alors ministre de la France d’Outre-mer, déclara : « Sans l’Afrique , il n’y aura pas d’histoire de France au XXIe siècle ». [Cité par Edem Kodjo dans son … Et demain l’Afrique. Éd. Stock, Paris, 1985]
Pour sa part, tout au début de son mandat en cours, Emmanuel Macron déclara publiquement que le « statu quo » qui prévaut au Togo depuis bien longtemps déjà n’est pas acceptable. Cependant, il n’a pas hésité à féliciter Faure Essozimna Gnassingbé pour son « élection » en février 2020. Pour un « quatrième » mandat présidentiel !!! Dans une interview accordée au journal parisien Jeune Afrique du 20 novembre de la même année, il condamne vertement (!) Alpha Condé, mais caresse Alassane Ouattara dans le sens du poil. Vraisemblablement parce que Condé donne l’impression de lorgner quelque peu la Turquie, la Russie et la Chine…, tandis que Ouattara paraît toujours baigner dans la Françafrique…
Quant à l’ex-ambassadeur Pierre Jacquemot, il vient d’opérer une dissection radicale du mécanisme même du blocage de la démocratisation en Afrique. Dissection que je ne qualifierais pas de systématique, mais plutôt de véritablement (!) systémique, rationnelle, cartésienne c’est-à-dire méthodique, détaillée, méticuleuse : un réel travail de fourmi. Travail synthétisé à la 4ème page de couverture de l’opuscule susmentionné de l’auteur et ainsi libellé : « Soixante ans après les indépendances, l’Afrique vote très massivement. La tenue d’élections régulières est un rituel maîtrisé, mais encore marquée par diverses pesanteurs sociologiques et par les complexes rapports de force internes. Leur étude montre qu’il existe dans le continent des pratiques hybrides du politique. La maturité électorale est encore diversement acquise et la maturité démocratique demeure le plus souvent incertaine.
À travers une synthèse de nombreux travaux et sur la base de sa propre expérience, l’ancien diplomate Pierre Jacquemot livre une analyse fouillée – et éclairante – sur l’évolution politique contrastée du continent ».
Quand on réalise l’importance cruciale des soi-disant « Commissions Électorales Nationales Indépendantes » (CENI) en Afrique contemporaine, on réalise l’importance qu’il y a à citer ici les lignes suivantes des pages 26-27 de la brochure en considération de Pierre Jacquemot : « En pratique, se pose souvent la question de savoir dans quelle mesure il existe une séparation claire entre les commissions électorales chargées de veiller à la régularité du scrutin et les régimes en place. Certaines ne sont indépendantes et impartiales que de nom. Dans certains pays, les commissaires sont clairement partisans. Eugène Le Yotha Ngartebaye, évoquant les cas du Bénin et du Tchad, a ainsi ce jugement implacable : « L’issue de l’élection ne se joue pas dans les urnes, mais dans les capacités à maîtriser et à disposer de ces institutions. C’est ce qui explique la politisation outrancière des commissions électorales avec en prime la pondérance des membres désignés par le parti au pouvoir ».
La conclusion du fascicule s’avère littérairement belle. Son contenu s’affiche, à première vue, édifiant. Il semble inspirer l’idée que les Peuples africains se doivent de changer radicalement (!) de PARADIGME en matière de Démocratisation. Cependant, je m’interdis de reproduire intégralement cette conclusion ici. Je préfère inviter le lecteur à se procurer lui-même l’opuscule, à le lire, à l’étudier.
Conclusion
En tout état de cause, nous autres Africains, représentons la tranche de l’Humanité qui a le plus souffert sous le Soleil : de la traite et de l’esclavage négriers, du colonialisme et de l’impérialisme… Il appert dès lors indispensable que nous nous prenions en mains, que nous inventions les voies et les moyens les plus idoines pour nous libérer des griffes des roitelets post-et-néocoloniaux qui entendent nous exploiter et opprimer ad vitam aeternam.
À tous mes très chers amis qui me lisent, je souhaite une très bonne et heureuse Année 2021 !
Paris, le 16 janvier 2021,
Godwin Tété
Notes:
- À ce propos, cf. mes ouvrages :
(i) De la dialectique démocratie/développement en Afrique. Éd. L’Harmattan, Paris, 2017.
(ii) Autopsie du développement pernicieux – Le cas du Togo. Éd. L’Harmattan, Paris, 2013. ↩