AFRICONNECT ET AFROCENTRICITY THINK TANK
Sujet : Bientôt une monnaie commune au sein de l’Alliance des Etats du Sahel ?
Journaliste : Mme Samantha RAMSAMY (SR)
- M. Nicolas Agbohou, Professeur d’économie des Universités, auteur
- Dr. Yves Ekoué AMAÏZO, Economiste et Directeur de Afrocentricity Think Tank, un groupe de réflexion et d’action, www.afrocentricity.info, auteur.
Emission : AfricaConnect
Date : 18 janvier 2024, mise en ligne le 13 février 2023.
Débat et Podcast : en VPN sur Russia Today en français ou via Afrique Media que nous remercions au passage
Podcast: Play in new window | Download (27.7MB) | Embed
S'abonner aux Podcasts : RSS
Participation au débat : Contribution écrite du Dr. Yves Ekoué AMAÏZO (YEA)
1. SR. Les pays de l’AES, le Burkina Faso, le Mali et le Niger travaillerait à l’élaboration d’une nouvelle monnaie commune pour assurer leur souveraineté ? Est-ce que ces pays sont prêts pour une Union monétaire ? Un plan avec des experts est en préparation… Est-ce que cela sera crédible ?
YEA. Merci pour l’invitation et bonjour à mon co-débatteur et ami Professeur Agbohou et à vos téléspectateurs. Il est question pour trois pays, le Burkina Faso, le Mali et le Niger, membres de l’Alliance des États du Sahel, une alliance militaire interétatique de défense mutuelle et collective conclue le 16 septembre 2023, de passer du volet de souveraineté militaire et territoriale au volet économique, financier et monétaire de leur souveraineté. Pour ce faire, le monnaie commune est un élément indispensable. Elle ne pourra pas se faire sans la mise en place d’un fond monétaire commun, le fond monétaire du Sahel et d’une banque centrale en charge de gérer une monnaie commune adossée à une monnaie marchandise qu’est l’or et/ou d’autres matières premières ayant un pouvoir libératoire et adopté d’un commun accord.
En matière de décision politique, c’est la volonté et la décision politique qui déterminent si l’on est prêt ou pas. Les trois pays de l’AES ont clairement indiqué qu’il s’agit d’être souverain. Donc il n’y a pas de souveraineté sans souveraineté militaire, territoriale, puis douanière, fiscale, économique, monétaire et financière.
Oui, la détermination des dirigeants de ces trois pays pour retrouver une souveraineté pleine et entière est telle que la question n’est pas tant de savoir s’ils sont prêts politiquement, car ils le sont, mais comment et quand et à quelle rythme, l’opérationnalité d’une union monétaire prendra effet et avec quelle monnaie commune en sachant qu’en filigrane, il faut établir des convergences monétaires, installer des institutions et surtout assurer la stabilité monétaire, économique et financière. Aussi, pour être prêt, il faut avoir des experts africains indépendants qui offrent une approche en plusieurs étapes avec comme objectif ultime d’aller vers une monnaie adossée à une monnaie marchandise qu’est l’or et plus tard d’autres matières premières.
C’est une véritable base pour se passer de tout le système mondial fondé sur la dollarisation des économies. Autrement dit, la déstabilisation du système mondial en 1971 avec l’instauration du change flottant est une décision du Président Nixon qui a décidé unilatéralement de ne plus adosser le dollar à l’or. Donc, si les Etats-Unis vous doivent de l’argent et que vous exigé que cela soit payé en or, les Etats-Unis diront non. Si vous insistez, vous risquez de subir leurs sanctions, voire une guerre économique qui peut se transformer en des déstabilisations par des terroristes non identifiés, voire même une guerre directe comme l’ont connu plusieurs pays dans le monde. Aussi, il ne suffit pas d’une simple décision politique, mais il faut mettre en place toutes les conditions pour neutraliser les déstabilisations multiformes que les ennemis du Peuple de l’AES et globalement de l’Afrique vont mettre en place pour empêcher la création de la monnaie commune de l’AES, ou de le déstabiliser une fois créer avec de la fausse monnaie et d’autres formes de concurrences déloyales.
2. SR. Créée en septembre 2023, l’AES avait pour objet la défense des intérêts communs dans un espace intégré. Est-ce que l’Union politique et économique ainsi qu’un marché commun s’inscrit dans la continuité d’une alliance de défense ? Comment pourrait s’opérer la mise en œuvre ?
YEA. La Charte du Liptako-Gourma signée le 16 septembre 2023 entre les trois pays du Sahel comporte plusieurs volets, avec une priorité pour le rétablissement de la souveraineté dans toutes ses composantes. Or, il n’y a pas de souveraineté monétaire sans la création, la gestion, le contrôle d’une monnaie. De fait, si les trois pays devaient en adopter une que certains ont déjà baptisée « le Sahel », cette décision sera en cohérence avec la souveraineté sécuritaire.
De plus, il a été prévu que de nombreux projets seront fait en commun, ce qui suppose aussi la création d’une banque commune, d’un fond monétaire commun pour faciliter les équilibres budgétaires avec de conditions de rééquilibre des balances de paiement qui tiennent compte de la culture et des conditions adaptées aux populations africains. Bref, le contraire des ajustements structurels des institutions de Bretton-Woods.
A côté de la monnaie, il faudra considérer en priorité la création d’un fonds monétaire du Sahel et une banque centrale. Ensuite, le principe d’une banque d’investissement peut être mis à l’ordre du jour. La mise en œuvre et l’opérationnalité de toutes ces institutions financières est un processus long qui devra suivre trois voies parallèles :
- d’une part, celle de la mise en place d’un écosystème monétaire avec une monnaie intérieure et une monnaie extérieure adossée sur une ou plusieurs matières premières et
- d’autre part, la mise en place d’institutions monétaires, bancaires et financières indépendantes. Les deux volets devraient mettre l’accent sur la digitalisation et la sécurisation des transactions ; et
- enfin, le choix du circuit de paiement en dehors du système SWIFT sans pour autant refuser d’utiliser ce dernier. Mais, il est question de se prévenir contre les sanctions de pays qui contrôlent le système SWIFT.
3. SR. Je vous invite à prendre connaissance de cette analyse de la Rédaction de Cameroonvoice. (camerounvoice.com[1]) : « Indépendance monétaire : En attendant les autres, le Liptako-Gourma se libère résolument du franc CFA avec le « Sahel »
« Les gouvernements militaires du Mali et du Niger ont, par ailleurs, fait savoir qu’ils envisageaient de résilier, dans les trois prochains mois, leurs accords fiscaux conclus il y a plusieurs décennies avec la France. Dans un communiqué conjoint, les autorités au pouvoir des deux pays ont expliqué leur décision en raison de « l’attitude hostile persistante de la France » envers leurs nations et du « caractère déséquilibré de ces accords, entraînant une perte financière significative pour le Mali et le Niger ».
Les gouvernements militaires du Mali et du Niger ont, par ailleurs, fait savoir qu’ils envisageaient de résilier, dans les trois prochains mois, leurs accords fiscaux conclus il y a plusieurs décennies avec la France.
La création du Sahel, une nouvelle monnaie destinée à contrer le CFA, revêt une importance cruciale en termes de souveraineté économique. La monnaie, conjuguée à une bonne gouvernance, représente un pilier de la richesse nationale.
Pour de nombreux pays africains utilisant le Franc CFA, cela équivaut à une forme d’asservissement, où la France exerce une influence prépondérante. L’acquisition de biens, d’outils et d’équipements industriels est entravée par le pouvoir de veto français, dictant avec qui coopérer. Cette réalité contribue à la situation actuelle en Afrique.
Cependant, l’empire franco-africain montre des signes de fragilité. Les récents développements en Afrique de l’Ouest témoignent de cette évolution, avec le Mali, le Burkina Faso et le Niger prenant l’initiative historique de rétablir leur souveraineté monétaire en créant une monnaie commune baptisée « le Sahel ». Cette décision, ancrée dans la charte du Liptako-Gourma signée mi-septembre, va au-delà de la coopération contre l’insécurité, incluant la mise en place d’une banque d’investissement et la réalisation de projets communs.
Les gouvernements militaires du Mali et du Niger ont, par ailleurs, fait savoir qu’ils envisageaient de résilier, dans les trois prochains mois, leurs accords fiscaux conclus il y a plusieurs décennies avec la France. Dans un communiqué conjoint, les autorités au pouvoir des deux pays ont expliqué leur décision en raison de « l’attitude hostile persistante de la France » envers leurs nations et du « caractère déséquilibré de ces accords, entraînant une perte financière significative pour le Mali et le Niger »
La signature de la Charte du Liptako-Gourma à la mi-septembre permet à ces trois États du Sahel, non seulement de faire front commun contre l’insécurité et les conflits liés à des groupes armés non étatiques, mais aussi de renforcer la coopération économique. Cette coopération comprend la création d’une banque d’investissement et d’une monnaie commune, le Sahel, visant à se libérer du Franc CFA.
L’Alliance des Etats du Sahel vise également à renforcer la sécurité des approvisionnements et à accélérer des projets énergétiques, agricoles et hydrauliques communs. Les gouvernements militaires du Mali et du Niger envisagent également de mettre fin à leurs accords fiscaux avec la France, soulignant l’attitude hostile persistante de cette dernière et les déséquilibres financiers résultant de ces accords.
La nouvelle monnaie, le Sahel, symbolise l’engagement des trois pays à rompre avec le Franc CFA. Cette modernisation, critiquant depuis longtemps la période coloniale pour son manque d’indépendance économique, pourrait être évaluée à 1,52€ lors de son lancement, par rapport au Franc CFA valant environ 0,01015€.
Au-delà de la question monétaire, la coalition envisage également la création d’une Confédération, voire d’une fédération à trois, exprimant ainsi la volonté de ces pays de renforcer leur souveraineté économique et de se libérer des liens économiques coloniaux. Ils peuvent y parvenir en exploitant leurs propres ressources naturelles, comme les raffineries d’or au Mali et au Burkina Faso, ainsi que les ressources pétrolières au Niger. Le soutien de la Russie, de la Chine et de l’Inde à cette initiative renforce la crédibilité du Sahel en tant que monnaie stable.
La transformation est également marquée par le fait que la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), qui gérait précédemment le Franc CFA, n’est pas affiliée à la Banque des règlements internationaux (BRI). Cette indépendance permet aux pays de la coalition Liptako-Gourma de traiter directement avec des partenaires internationaux, remettant potentiellement en question la dynamique économique de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).
Le Togo a déjà exprimé son intention de rejoindre la coalition Liptako-Gourma, et d’autres pays pourraient suivre. La dénomination du Sahel en référence à la région, élargit son attrait à d’autres pays, renforçant son influence et son potentiel économique. Enfin de compte, le Sahel représente bien plus qu’un simple changement de devise, il incarne la lutte de l’Afrique pour l’indépendance économique et la reprise en main de son destin par le Mali, le Burkina Faso et le Niger ».
4. Une fois cette analyse digérée, que pensez-vous de l’analyse de l’analyse de la Rédaction de Cameroonvoice. Est-ce que l’indépendance monétaire en Afrique de l’Ouest passe par le fait que trois pays du Liptako-Gourma décident de se libérer du franc CFA en « planifiant » de créer une autre monnaie que certains « nomment » déjà le « Sahel » ?
YEA. Je partage le constat. Mais il faut utiliser le bon vocabulaire. Il ne s’agit pas uniquement de « mettre fin à des accords fiscaux avec la France », mais de mettre fin à tous les accords secrets comprenant la défense, la sécurité, la monnaie, et tout ce qui est relatif à l’économique. Ces accords sont unilatéralement favorables à la France et neutralisent la souveraineté des pays africains. Alors, il n’y a pour moi aucune difficulté à comprendre ce besoin de rééquilibre cette asymétrie issue de la colonisation et de la néocolonisation. Aussi, la souveraineté territoriale et politique est la première phase. La souveraineté monétaire, économique, douanière, fiscale, financière et bancaire n’est que la prochaine étape. Sauf que cela ne relève pas de la compétence des militaires et supposent qu’une expertise indépendante puisse offrir des solutions afin que des décisions puissent se prendre. Donc, la question n’est pas s’il faut créer une autre monnaie commune pour ces trois pays, mais dans quelle condition, avec quels partenaires et alors on pourra alors parler du quand.
Mais, mon approche d’une monnaie de souveraineté de l’AES passe par une approche où la monnaie et le circuit monétaire sécurisé doit être identifié ainsi que les capacités de nuisances de ceux qui dirigent la franc CFA pour déstabiliser l’émergence d’une monnaie AES, ce en rappel du Franc Malien qui est sorti, puis revenu dans la zone franc. Donc, l’approche doit être préparée, puis présentée au Peuple pour une approbation.
5. SR. Est-ce qu’il sera nécessaire de sortir de la zone franc pour pouvoir créer une nouvelle zone monétaire à part entière ?
YEA. La sortie de la zone franc est l’objectif recherché. Le processus n’a pas besoin d’être linéaire au sens où vous l’entendez. Autrement dit, il n’est pas nécessaire de sortir de la zone franc pour créer un nouvel écosystème monétaire, une nouvelle monnaie et une zone monétaire. Donc, il peut avoir une période transitoire où le Franc CFA continuera à exister avec une monnaie commune. Aussi, dans la pratique, il y aura une période de transition où deux systèmes monétaires vont fonctionner en fonction du pouvoir libératoire que les utilisateurs vont leur donner. La question est de savoir qu’à un moment donné, les populations qui ne verront plus l’utilité du Franc CFA conduiront les autorités de l’AES à déclarer leur nouvel écosystème douanier, monétaire, bancaire et financier comme le seul légitime dans l’espace AES.
Alors, il s’agira d’une décision politique pour exclure le Franc CFA. En définitive, c’est l’autorité politique qui octroie le pouvoir libératoire à une monnaie. Aussi, comme les règles de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) interdit justement de créer une autre monnaie et d’utiliser un autre système de paiement sans leur consentement, et indirectement sans le consentement de la France, pose un problème. C’est en fait de ce fait que les pays de l’AES n’ont pas d’autre choix que proposer un autre écosystème et le mettre en œuvre en informant l’UEMOA. D’ailleurs vous constaterez avec moi que les dirigeants de l’AES ont quitté la CEDEAO mais pas l’UEMOA. Le domaine économique, financière, monétaire est plus complexe que la décision politique de quitter la CEDEAO.
Pour que les pays de l’AES finissent par avoir leur monnaie de compte, leur monnaie de paiement, leur monnaie de réserve et donc d’investissement dans le cadre d’une souveraineté qui exclut la France et tous pays adeptes de l’ingérence directe, indirecte ou par procuration, je pense qu’il faut une approche originale.
Pour commencer, il faut opérationnaliser la décision politique pour une monnaie commune avec la mise en commun de ce qui va servir de garantie et de réserve, notamment l’or… Dès lors que vous pouvez adosser votre monnaie sur un stock d’or auprès d’une banque centrale de l’AES ou du Sahel ou d’un fond monétaire de l’AES, alors la capacité de rembourser votre dette ou de payer vos engagements est garantis. Alors il ne reste plus qu’à battre la monnaie.
6. SR. Quels sont les défis à relever pour parvenir à la mise en place d’une zone monétaire commune ?
YEA. Les défis sont multiples et dépendront de la volonté politique des pays membres de l’AES. Je séparerais entre les défis de court terme, et ceux du long-terme. La mise en place d’une zone monétaire commune pour les pays de l’Alliance des États du Sahel (AES), notamment le Burkina Faso, le Mali et le Niger, présente plusieurs défis qu’il faut résoudre :
À court terme :
- La lutte contre le terrorisme et la criminalité organisées ne doit pas être dissociée de l’accompagnement et le soutien au renforcement de la sécurité collective. Les trois pays sont confrontés à la menace des groupes de terroristes djihadistes ou non-identifiés et la mutualisation des forces ne peuvent qu’aider à obtenir des succès ;
- La convergence entre les trois économiques notamment sur plusieurs plans : militaire, douanier, fiscal, monétaire, économique, bancaire et financier ;
- Les convergences des principaux indicateurs économiques (endettement/déficit budgétaire, taux d’intérêt, système de compensation, etc.) afin d’avancer vers la stabilité monétaire et économique pour faciliter une stabilité politique. Les trois pays sont actuellement dirigés par des militaires qui n’ont pas d’objections à terme de céder le pouvoir à des civils, bien que ce point reste à confirmer. Mais auparavant, la stabilité suppose au minimum la souveraineté territoriale, la souveraineté monétaire et la souveraineté politique.
À long terme :
- Il faudra maintenir les acquis de l’intégration régionale et économique : Pour que l’union monétaire soit bénéfique, il est nécessaire que les pays membres aient la capacité de produire les types de produits transformés, donc promeuvent l’industrialisation en répondant aux besoins des populations et en réduisant progressivement les importations de tout ce qui peut se produire été être transformé localement ;
- La mobilité des personnes, des biens et du capital, grâce à des accords bilatéraux, dans la zone monétaire afin de permettre au marché de s’ajuster en fonction des besoins ; cela suppose que la fixation des salaires, des prix, et de la fiscalité soit fondée sur des bases de soutien à l’économie des trois pays ;
- La capacité à harmoniser leur approche économique pour être capable de prévenir et de faire face aux chocs exogènes ensemble ;
- L’intégration douanière, financière et fiscale est indispensable pour permettre l’allocation efficace des ressources, la libre circulation du capital et la réduction du différentiel des taux d’intérêt de long terme des économies membres ; et enfin
- L’intégration financière, monétaire et bancaire, notamment en mettant en valeur une approche digitale et sécurisée de la monnaie.
7. SR. La solidarité des pays est certainement un atout mais ce n’est pas la solution miracle. Une monnaie commune suppose que certaines conditions soient mises en place ; notamment une stabilisation macro-économique de la région, et il va falloir mettre à niveau les indicateurs économiques des différents pays ?
YEA. Il est important de maintenir la stabilité des taux de change réels avec le monde extérieur pour
promouvoir la stabilité macroéconomique et limiter au minimum les fluctuations économiques dans la zone AES. Les principaux critères de convergence économique, financière et monétaire en Afrique sont généralement définis autour des points suivants :
- Dette publique : Elle doit être inférieure à 70% du PIB.
- Déficit budgétaire public : Il doit être inférieur à 3% du PIB.
- Stabilité du taux de change : Il est important de maintenir un taux de change stable.
- Maîtrise de l’inflation : L’inflation doit être maintenue en dessous de 10 %.
- Financement du déficit budgétaire des banques centrales : Il doit être inférieur à 10 % des recettes fiscales de l’année précédente.
- Taux d’intérêt réels positifs : Il est nécessaire de maintenir des taux d’intérêt réels positifs et s’organiser pour sa fixation au service des populations.
- Stabilité des taux de change réels.
Personne ne pourra faire l’économie l’adaptation et l’harmonisation de ces repères en fonction de la capacité de trois pays enclavés.
8. SR. Etant trois pays qui importent plus qu’ils n’exportent avec des Produits nationaux bruts (PNB) faibles et des balances de paiement toujours déficitaires, qui va soutenir économiquement cette monnaie ?
YEA. Le déficit de la balance des paiements et de la balance commerciale de ces trois pays provient de la mauvaise gouvernance des régimes politiques passés et du contrôle des trois économiques par le système de la zone franc. Si les pays de l’AES se mettent ensemble dans le cadre d’un Fonds monétaire du Sahel, alors les statistiques du Fonds monétaire international datant d’octobre 2023 a estimé que respectivement en 2023 et 2024, la moyenne du solde budgétaire des pays de l’AES comprenant aussi les dons reçus de l’étranger passera en 2023 de -5,43 % à -4,7 % du PIB en 2024. La moyenne de l’Afrique subsaharienne pour les mêmes années est de -4,2 % à -3,7 % de la richesse nationale produite (mesurée en Produit intérieur brut (PIB))[2].
Autrement dit, même le FMI constate que la situation budgétaire des trois pays de l’AES va s’améliorer entre 2023 et 2024. Etant entendu que le niveau de déficit atteint en 2023 est le résultat des dirigeants passés, avant l’arrivée des militaires. En fait, les trois pays sont dans la même dynamique que des pays comme la Côte d’Ivoire qui passe de -5,2 % à -4,2 % de la richesse nationale ou du Nigéria avec respectivement -5,4 % à -4,5 % du PIB. Il n’y a donc pas eu l’effondrement planifiée de ces trois pays malgré les sanctions d’une CEDEAO va-t’en guerre. La CEDEAO incluant l’AES a vu les prévisions du FMI portant sur la moyenne du solde budgétaire de 2023 passer d’un déficit de -5,1 % du PIB à -4,3 % du PIB en 2024. Les trois pays de l’AES ont donc bien la capacité d’assurer leur souveraineté en maîtrisant leur déficit du solde budgétaire.
Il n’est plus acceptable d’avoir autant de richesses du sous-sol et qu’en 60 ans, la France n’en soit que le principale bénéficiaire, ce qui dérange d’ailleurs les autres membres de l’Union européenne.
Actuellement, ce déficit peut se creuser passagèrement avec l’effort de guerre contre le terrorisme. Mais, pour retrouver une trajectoire vers l’équilibre des comptes publics, il faut valoriser les matières premières et les transformer localement. Mais, il faut aussi que la monnaie commune soit adossée à l’or, une matière première et que la circulation de la monnaie qui émergera soit structurée autour d’une monnaie de plus en plus digitalisée où la compensation en dernier ressort repose sur des transferts effectifs d’or ou de matières premières acceptées par chacun des Etats. En cela, l’AES pourra alors fixer la valeur de sa monnaie, son taux d’intérêt et attirer toutes personnes et institutions intéressées par une monnaie dont la valeur est adossée à l’or.
9. SR. Comment les unions monétaires vont-elles stimuler l’intégration régionale en Afrique ?
YEA. Il n’est pas possible d’avancer rapidement vers la réalisation des avantages économiques potentiels des unions monétaires en Afrique sans l’amélioration des infrastructures, le développement des capacités productives et commerciales notamment avec le renforcement des accords commerciaux régionaux et surtout la fin de la corruption et l’incompétence doublée d’un clientélisme clanique ou familiale.
Les unions monétaires, comme celle envisagée par l’Alliance des États du Sahel (AES), peuvent stimuler l’intégration régionale en Afrique en donnant l’exemple par :
- La promotion du commerce régional : Les unions monétaires peuvent améliorer le commerce régional en Afrique. Par exemple, elles peuvent créer du commerce, et la promotion du commerce par l’intégration régionale peut aussi créer des conditions plus adaptées à l’intégration monétaire.
- La stabilité monétaire : Une monnaie commune peut réduire les coûts de transaction, éliminer le risque de change et favoriser la stabilité des prix, ce qui peut stimuler le commerce et l’investissement.
- L’intégration économique au sein de l’AES : l’objectif de la Communauté économique africaine (CEA) est de transformer les économies africaines en une union douanière, économique et monétaire unique, avec une monnaie commune, la libre circulation des capitaux et des travailleurs permettant de soutenir une politique industrielle et digitale qui permettront la valorisation de la dividende démocratique.
- La création d’institutions régionales servant de modèle pour les institutions africaines notamment : La mise en place d’institutions clés, comme la Banque centrale africaine, un Fonds monétaire africain et une Banque africaine d’investissement, peuvent faciliter l’intégration économique et monétaire.
10. SR. Il existe de nombreux de projets d’intégration économiques et monétaire qui comportent la création d’une monnaie unique Afrique de l’Est, la CEDEAO et même le nouvel espace Atlantique proposé par le Maroc avec le Sahel, la Zone de libre-échange africaine (ZLECAF)… Où situer les complémentarités?
YEA : En réalité, il importe d’abord d’assurer une véritable harmonie au sein d’une zone avant de rechercher à harmoniser avec d’autres zones économiques et monétaires. L’AES risque de devenir l’exemple pilote pour la refondation des projets d’intégration fondée sur l’harmonisation des règles de gouvernance et la priorité de la souveraineté comme fil conducteur.
11. SR. Qui va frapper cette nouvelle monnaie commune ?
YEA. La question portant sur « qui frappera la nouvelle monnaie commune de l’Alliance des États du Sahel (AES), appelée “Sahel” » est encore en discussion.
Les ministres des finances de l’AES ont envisagé la création d’une Banque d’investissement et d’un fonds de stabilisation monétaire appartenant aux trois États (Burkina Faso, Mali et Niger) pour garantir la bonne santé financière dans cet espace. Mais, il faudra passer par une banque centrale et un fonds monétaire de l’AES.
12. SR. Quelle sera l’évaluation de la nouvelle monnaie commune et sera-t-elle adossée à l’or ou à un panier de monnaie au cours d’une période transitoire… Par ailleurs, le paiement devra toujours se faire par le système Swift ou par d’autres canaux notamment au sein des pays du BRICS ?
YEA. La monnaie commune de l’AES reposera sur l’or et sera adossée à l’or. Mais il est possible que pour parvenir à cette étape, il est possible de passer par une transition reposant sur un panier de monnaie qui utilisera en priorité des systèmes autres que le SWIFT pour se prémunir contre des sanctions unilatérales et imprévisibles. Il suffit pour cela de s’inspirer de ce qui se passe actuellement au sein des pays des 11 pays du BRICS Plus qui réfléchissent activement à une monnaie commune adossée à l’or. Mais, l’une de mes préconisations est d’avancer rapidement vers la monnaie digitale et une banque digitale.
13. SR. Comment cette monnaie commune du Sahel sera-t-elle évaluée ?
YEA. Pour le moment, il n’y a rien de clair. Si vous entendez par « évaluation », la valeur de cette monnaie, le fait de l’adosser à un stock d’or pourra renforcer la légitimité de cette monnaie et donc son pouvoir libératoire. S’il s’agit de comprendre par « évaluation », la confiance que le monde accordera à la monnaie commune de l’AES, il suffit de poser la question à l’envers. Entre la monnaie de l’AES adossée à l’or en dernier ressort et un dollar adossée à rien ou à un pouvoir militaire et politique, que choisira une personne, une institution qui souhaite obtenir une monnaie équivalent général qui permettra de remplir toutes les fonctions de la monnaie, et plus particulièrement celle de l’épargne.
Bref, l’affluence du monde pour une monnaie digitale commune de l’AES basée sur l’or sera importante et renforcera la valeur de cette monnaie, d’autant plus que le taux d’intérêt qui sera choisi par la Banque centrale de l’AES et reposant sur les stocks d’or, devrait être très attractif et attirer un nombre important d’investisseurs qui sont assurés de ne pas être payés en une monnaie qui n’a pas de contreparties.
14. SR. Quelle sera sa parité ? Et sera-t-elle adossée aux devises internationales comme le dollar, le yen ou le rouble ?
YEA. La question revient à rechercher les avantages pour la monnaie commune de l’AES à opter pour la parité de leur monnaie commune adossée à un panier de monnaie comme le dollar, le yuan et le rouble, la roupie etc. ou alors à l’adosser à l’or comme c’était le cas pour le dollar américain avant 1971.
Une monnaie adossée au cours d’une période transitoire à un panier de devises ou sans transition directement à l’or présente plusieurs avantages :
Je proposerais de considérer ces deux étapes en attendant que la décision politique soit prise pour opter pour la monnaie adossée à l’or.
La période transitoire avec le panier de devises (monnaies internationales) et la période de souveraineté avec l’or et ses déclinaisons par des jetons digitalisées adossées à l’or, afin de garder l’or dans les banques centrales des pays de l’AES.
La période de transition avec un panier de devises devrait permettre aux pays de l’AES d’avancer vers plus de :
- Stabilité : L’ancrage à un panier de devises peut assurer la stabilité d’une monnaie en attachant sa valeur, dans un rapport prédéterminé, à des devises plus stables ;
- Réduction des risques liée au fait la dépendance vis-à-vis d’une seule devise sera limitée et le panier de devises permettra de réduire considérablement les fluctuations ;
- Flexibilité et d’agilité en cas de fluctuations importantes d’une devise particulière.
La période de pleine souveraineté en adossant la devise de l’AES à l’or est l’objectif recherché. Cela permettra d’accroitre :
- la confiance dans la devise AES car en filigrane, c’est la même confiance pour l’or, éliminant les craintes d’une nouvelle monnaie adossée à des devises jouissant de changes flottants et sans garanties comme c’est le cas de plusieurs devises aujourd’hui ;
- la stabilité avec une monnaie adossée à l’or ; l’or étant une valeur refuge en période d’incertitude économique ;
- la protection contre l’inflation avec une monnaie adossée à l’or devrait contribuer à préserver le pouvoir d’achat.
- L’avantage d’avoir un principe économique qui s’intègrera dans la stratégie des pays du BRICS Plus d’aller vers le paiement en monnaie nationale et surtout d’avoir leur devise adossée à l’or.
15. SR. Votre mot de fin ?
YEA. L’Afrique doit une monnaie adossée à l’or car l’avenir d’un monde multipolaire va nécessairement passer par la dédollarisation de l’ensemble du système financier. La raison première est la méfiance croissante envers un dollar américain et une accumulation d’une dette qui est transmise à l’ensemble du monde. Personne ne peut oublier que ce sont les Etats-Unis en 1971 qui ont décidé de ne plus adosser leur devise à l’or, ouvrant le champ à une instabilité monétaire. Mais en définitive, la décision d’opter pour une monnaie commune adossée à l’or relève du patriotisme et de l’engagement et la détermination d’aller vers la souveraineté collective et la dignité de l’être humain. YEA.
18 janvier 2024 et mise en ligne le 13 février 2024.
Dr. Yves Ekoué AMAÏZO, Directeur de Afrocentricity Think Tank
Contact : yeamaizo@afrocentricity.info
© Afrocentricity Think Tank, AfriConnect et Russia Today en français (RT en français)
16. Notes :
- La Rédaction (2023). « Indépendance monétaire : En attendant les autres, le Liptako-Gourma se libère résolument du franc CFA avec le “Sahel” ». In cameroonvoice.com. 10 décembre 2023. Accédé le 22 janvier 2024. Voir https://cameroonvoice.com/economie/2023/12/10/independance-monetaire-en-attendant-les-autres-le-liptako-gourma-se-libere-resolument-du-franc-cfa-avec-le-sahel/ ↑
- IMF (2023). Regional Economic Outlook. Sub-saharan Africa. Light on Horizon? In IMF: Washington D. C. ↑