« Le cerveau humain est un organe universel »
Karl Marx
« La légitimité du pouvoir se fonde sur le peuple ; mais à l’image de la souveraineté populaire se joint celle d’un lieu vide, impossible à occuper, tel que ceux qui exercent l’autorité publique ne sauraient prétendre se l’approprier. La démocratie allie ces deux principes apparemment contradictoires : l’un, que le pouvoir émane du peuple ; l’autre, qu’il n’est le pouvoir de personne ».
[Cf. Claude Lefort, L’invention démocratique. Ed. Fayard, Paris, 1971, p. 92]
Oui ! Au premier coup d’œil de l’observateur un tant soit peu avisé, presque tous les pays de l’Afrique noire issus des « indépendances » post – Seconde Guerre mondiale apparaissent truffés de nombres considérables de « régions » anthropologiques, d’ethnies, de sous – ethnies, de clans, de sous – clans ; que sais – je encore ?! Toutes réalités qui rendent aléatoires le développement de nations épanouies, l’éclosion d’un patriotisme parfait…
Alors, réfléchissant ces jours – ci sur la brûlante actualité induite par la mascarade d’«élection présidentielle » du 22 février 2020, je suis arrivé à me convaincre que cet était de choses anthropologique constitue la toute première cause de la stagnation socio – politique dans laquelle pataugent d’Afrique noire en général, mon pays le Togo en particulier. Et ce, depuis lesdites « indépendances ».
Alors, en lisant l’article intitulé “La République à l’épreuve des ethnies“, de mon concitoyen N’Sinto Lawson – que je ne connais pas – publié par le journal togolais Liberté, N° 3145 du 12 mai 2020, il m’a semblé qu’il s’agit d’un écrit de ma propre plume. Comme quoi, Karl Marx a raison de croire que « Le cerveau humain est un organe universel »
Alors, il sied que je félicite, que je remercie, que j’encourage l’universitaire N’Sinto Lawson. Enfin je tiens à partager la lecture de l’article en considération, avec tous mes correspondants, avec tous mes compagnons de route, avec tous ceux qui participent, depuis toujours, à l’épique combat salvateur de la terre de mes Aïeux : le Togo. Et ce, avec l’intime conviction que les temps ne sont plus très loin où toutes les ethnies togolaises réussiront à dépasser le niveau grégaire … et à se lever ensemble, comme un seul homme, pour dire NON (!!!) à la colonisation endogène, ethno-militaro-clanique qui régente le Togo depuis, de facto, le 13 janvier 1963… Et maintenant, bonne lecture (!) du texte de N’Sinto Lawson :
« La République à l’épreuve des ethnies : ce que pense l’Universitaire N’Sinto LAWSON
Selon Montesquieu « La vertu, dans une République, est une chose très simple : c’est l’amour de la République …» (De l’esprit des lois, livre V, chap. III). Quoique séduisant, le propos de Charles-Louis de Secondat mérite d’être sérieusement médité surtout, lorsque l’on est dans une République multi ethnique. Car la crise de la démocratie et les déroutes institutionnelles que connaissent aujourd’hui les Etats africains peuvent aussi s’expliquer par l’influence des groupes ethniques sur la structure étatique.
La République est une « chose publique » (res publica) qui signifie un bien public, c’est-à-dire quelque chose qui est précieux pour l’ensemble des citoyens. La République ne peut exister que parce qu’il existe des citoyens. Parler de la République c’est examiner une histoire qui a un sens pour nous aujourd’hui, qui nous parle de l’être de notre société, de son devenir. La République renvoie à l’universalisme, à la citoyenneté et à la transcendance civique des intérêts particuliers. Par contre l’ethnie évoque le règne des particularismes, des communautarismes et, au-delà, le spectre de la division et de la balkanisation du corps social. Il s’agit d’un groupe plus ou moins homogène, et quelques fois difficile à identifier, dont les membres ont une communauté de manières d’être, de penser, de sentir, de faire relevant de la langue, de la culture et d’autres éléments qui présentent une certaine stabilité, par opposition aux autres groupes de même nature. En effet, il est fréquent de constater que l’africain privilégie sa « prétendue » ethnie sur son appartenance à l’Etat républicain.
S’il est difficile de « minimiser l’importance des facteurs ethniques dans les dynamiques socio-politiques contemporaines en Afrique », n’est –il pas temps de « formater » les pulsions et les instincts ethniques et claniques pour établir un « patriotisme républicain » qui, à termes, aboutira à un panafricanisme moderne et durable ? Les facteurs ethniques sont-ils compatibles avec l’érection d’une République ? Ces questions méritent d’être posées surtout quand l’on sait que le terme « République » est très présent dans la Constitution de 1992 alors que celui d’ « ethnie » n’apparaît qu’une fois (voir l’article 7) mais de façon négative.
L’ethnicité est alors un phénomène sociopolitique construit, dont les effets doivent être pris au sérieux. C’est pourquoi, il faut sortir du « traquenard ethnique » si nous croyons réellement en la République.
En célébrant l’ethnicité aujourd’hui, l’africain se trouve dans une contradiction dangereuse. Il ne pourra plus faire d’analyse objective quand il faudra décider du choix des représentants de l’Etat. C’est dire aussi que l’africain réduit souvent la République à sa propre « bulle ethnique » dans laquelle il s’enferme avec une série de préjugés sans fondement et tordus. Les conséquences sont multiples et certaines pourraient devenir apocalyptiques.
D’une part, le « confort ethnique » amène certains à croire, parfois naïvement, que seul ce repli ethnique peut leur permettre de résoudre tous les problèmes de la vie quotidienne. Aussi, vont- ils céder à la tentation d’aller solliciter « un appui » auprès d’une autorité administrative lors d’un concours de recrutement à des emplois publics ou lors d’un appel à candidature pour les marchés publics. L’on sacrifie ainsi la compétence et la vertu sur l’autel du tribalisme. Sauf que, cette attitude attentatoire au respect des principes républicains plombe l’élan vers la réalisation de l’Etat de droit. Elle contribue à reléguer à l’arrière-plan des valeurs comme l’égalité, la neutralité et la transparence, valeurs indissociables de l’Etat de droit. La Constitution et tous les autres textes qui régissent le fonctionnement de l’Etat sont ainsi, de facto, suspendus. Une telle situation qui met en veilleuse la légalité est malheureusement peu propice au développement de l’Etat.
L’histoire a montré que dans certains pays à un moment donné, « les ministres, les chefs de cabinets, les ambassadeurs, les préfets sont choisis dans l’ethnie du leader, quelquefois même directement dans sa famille. Cette tribalisation du pouvoir entraîne, on s’en doute, l’esprit régionaliste, le séparatisme. Cette exaltation des particularismes et des régionalismes de toute nature est paradoxalement entretenue par l’exigence de la décentralisation aujourd’hui en vogue surtout quand celle-ci est mal conçue ou même instrumentalisée.
D’autre part, le « confort ethnique » peut engendrer des conflits armés avec tout le lot de violences indescriptibles que l’on connaît. Les génocides perpétrés dans le monde et en Afrique illustrent bien la situation. L’exemple de 1994 au Rwanda constitue un drame qui aurait dû interpeller tout le continent. En effet, cet Etat a connu l’expérience absolue des ravages de l’ethnisme lors du génocide des Tutsis par les Hutus en 1994. Le pouvoir actuel s’efforce d’appliquer une politique volontariste consistant à nier le fait ethnique afin de tenter de bâtir une unique nation rwandaise.
Ce qui est tristement fascinant, c’est l’attitude de l’élite intellectuelle et politique africaine face à ce drame. Car, normalement, elle devra être une courroie, un lien entre le monde des idées, largement inaccessible à cause de son érudition et de son élitisme, et le grand public. C’est à travers elle que passent les idées forces d’une époque et vers lui que se tournent les personnages politiques en quête d’identité. Une élite qui sait bien manier l’ethnie et même la manipuler dans son propre intérêt. En d’autres termes, elle est bien consciente des dangers inhérents à une forte propension à célébrer l’ethnie. Mais elle y ferme les yeux. Cette cécité volontaire sur la question ne peut trouver d’explication objective. Parce qu’elle au moins, elle connaît la signification basique de la République, à savoir la chose publique (res publica). En acceptant le principe de la République, concept hérité de la colonisation, elle est contrainte d’adopter et d’intégrer le principe d’égalité et de légalité. Républicain malgré lui, l’africain devra à chaque fois que son « instinct ethnique » est en face des valeurs de la République, faire un choix difficile. Cependant il devra rester cohérent et œuvrer pour l’effectivité de la République.
Il ne s’agit pas de décréter la fin de l’ethnie ou de l’ethnicité, mais juste rappeler que la citoyenneté est, à plusieurs égards, le « ciment de la République », ce qui unit profondément, autour de valeurs mais aussi de comportements, les citoyens au corps social. Au Togo, sur la quarantaine d’ethnies recensées, aucune n’est supérieure à l’autre ou aux autres. La seule qui puisse l’être est celle que l’on désigne, et avec fierté, par « TOGOLAIS ». Que tous ceux qui ont du mal à être TOGOLAIS et seulement TOGOLAIS, fassent un effort… Le salut est dans la République, et ELLE est une, indivisible et laïque. »
Lomé, le 15 mai 2020
Godwin Tété